Ovide - Les métamorphoses d'Ovide, Livre XI (Fable 6) lyrics

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Ovide - Les métamorphoses d'Ovide, Livre XI (Fable 6) lyrics

(v.410) Cependant, Céyx, plein d'angoisse et le coeur troublé du prodige concernant son frère et de celui qui avait suivi la métamorphose de ce frère, s'apprête à aller au sanctuaire du dieu de Claros consulter les oracles sacrés, qui apaisent l'inquiètude humaine. Car l'impie Phorbas, avec ses Phlégyens, rendait inaccessible le sanctuaire delphique. Auparavant, il t'informe de son dessein, ô Alcyoné, la plus fidèle des femmes. Aussitôt le froid pénétra les os de son épouse jusqu'à la moelle ; une pâleur, toute semblable à la couleur du buis, couvre son visage, et sur ses joues ruisselèrent les larmes. Trois fois elle fit effort pour parler, trois fois son visage fut baigné de pleurs, et, les sanglots interrompant les plaintes que lui inspire son amour : « Qu'ai-je donc fait, dit-elle, ô mon époux chéri, pour que ton coeur ait changé? Qu'est devenu le souci que tu témoignais de moi auparavant ? Tu peux donc, maintenant, abandonnant Alcyoné, partir au loin l'esprit en repos ? Les longs voyages, maintenant, te tentent-ils ? L'absence, maintenant, me rend-elle pour toi plus chère ? Du moins, je le pense, tu fais route par terre ; et je n'éprouverai que de la tristesse, sans éprouver par surcroît de la crainte, et ma sollicitude sera exempte d'alarmes. C'est l'eau qui m'effraie, et l'inquiètante image de la mer. J'ai vu naguère, sur le rivage, des débris de planches, et souvent, sur des tombeaux où ne reposait aucun corps, j'ai lu des noms. Et qu'une confiance trompeuse ne règne pas dans ton esprit parce que ton beau-père est le fils d'Hippotès, qui tient emprisonnée la violence des vents et, quand il le veut, apaise les flots. Une fois que les vents déchaînés se sont emparés de la surface des flots, ils ne connaissent plus aucun obstacle, et la terre entière, la mer entière sont à la merci de leurs fureurs. Ils a**aillent même, dans le ciel, les nuages dont leurs chocs affreux font jaillir les feux rutilants des éclairs. Plus je les connais - car je les connais bien et souvent, enfant, je les ai vu dans la demeure de mon père -, plus grande est ma conviction qu'ils sont redoutables. Si ta résolution ne peut, cher époux, se laisser fléchir par aucune prière, si tu n'es que trop décidé à partir, prends-moi aussi avec toi. Du moins nous partagerons les risques du voyage et je ne craindrai que les dangers que je courrai ; nous les supporterons ensemble, quels qu'ils soient ; ensemble, nous serons emportés sur la vaste étendue des mers. » Par ces propos, par ses larmes, la fille d'Eole émeut son époux, fils d'un astre ; car il ne brûle pas lui-même d'un moindre amour. Mais il ne consent ni à renoncer au projet de voyage sur la mer qu'il a formé, ni à en faire partager à Alcyoné les périls ; et il lui répondit en prodiguant les a**urances propres à apaiser son coeur craintif. Il ne la gagne pas, cependant, malgré cela, à son projet. Il ajouta enfin cette promesse consolante, qui seule put décider son amante : « Certes, pour moi, tout délai est bien long ; mais je te jure, par les feux de l'astre mon père, si les destins me l'accordent, de revenir avant que par deux fois la lune arrondisse son disque. » (v.457) Quand il eut par ces promesses confirmé Alcyoné dans l'espoir du retour, Céyx ordonne qu'un navire, tiré de l'arsenal, soit mis à flot et gréé. A ce spectacle, une fois de plus, comme si elle avait le pressentiment de l'avenir, Alcyoné frissona et laissa couler les larmes qui lui venaient aux yeux ; elle prit Céyx dans ses bras et, pleine de détresse, d'une bouche attristée, elle lui dit enfin adieu ; puis, s'abandonnant, elle s'affaissa. Cependant, les jeunes matelots, bien que Céyx demandât encore un peu de répit, ramènent, sur les deux rangs, les rames contre les robustes poitrines, et, d'une nage régulière, fendent les flots. Alcyoné souleva ses yeux noyés de larmes et elle voit d'abord son mari, debout à la poupe recourbée, de sa main qu'il agite, lui faire des signes ; elle lui répond par des signes, à son tour. Et, quand la distance de la terre s'est accrue, quand les yeux ne peuvent plus reconnaître les visages, aussi longtemps qu'elle peut, elle suit de l'oeil le vaisseau qui fuit. Lorsque enfin celui-ci, en raison de l'éloignement, fut hors de vue, elle regarde cependant encore la flamme ondoyant au sommet du mât. Et, quand elle ne la voit plus, elle gagne, angoissée, son lit vide et se couche sur le coussin. Son lit, sa chambre font couler de nouveau les pleurs d'Alcyoné et lui rappellent quelle part d'elle-même en est absente. (v.475) Le navire avait quitté l'abri des côtes, et la brise faisait frémir les cordages. L'équipage tourne contre le flanc du vaisseau la pale des rames qu'il y laisse pendre, hisse les vergues au sommet du mât, déploie les voiles sur toute sa hauteur pour recevoir la brise qui se lève. Le navire, fendant l'eau de son étrave, avait parcouru moins, ou certainement pas plus de la moitié de sa course, et, de part et d'autre, la terre était fort éloignée, lorsque, à la tombée de la nuit, la mer commença à se couvrir de vagues blanchissantes et l'Eurus à souffler plus violemment de l'avant : (v.482) « Amenez donc immédiatement les hautes vergues, crie le pilote, et carguez toute la voilure. » Tels sont ses ordres ; mais les rrafales de vent debout en gênent l'exécution, et le fracas des flots ne permet plus à la voix de se faire entendre. Cependant, de leur propre initiative, les uns s'empressent pour retirer les rames, d'autres pour protéger les plats-bords, d'autres pour que les voiles n'offrent aucune prise aux vents ; celui-ci épuise l'eau et rejette à la mer le flot venu de la mer, celui-là amène vivement les vergues. Tandis que ces manoeuvres s'exécutent sens ordre, la violence de la tempête s'accroît ; de toutes parts, les vents se livrent des combats sans merci et bouleversent les flots en courroux. Le pilote, lui aussi, prend peur et avoue lui-même ignorer quelle est la position du navire, ce qu'il faut ordonner ou défendre : si périlleuse est la situation et si impuissantes à y porter remède toutes ressources de l'art. Ce n'est qu'un vaste fracas, fait des clameurs des hommes, du sifflement des cordages, du lourd choc des vagues s'écroulant sur les vagues, du tonnerre dans les airs. La mer démontée semble dresser jusqu'à la hauteur du ciel la crête de ses lames et toucher les nuages arrosés de leur embrun ; et tantôt, lorsqu'elle balaie le sable fauve de ses fonds, elle a la même couleur que lui, tantôt elle est plus noire que l'onde du Styx. Par instants, elle n'est qu'une plaine toute bruissante et blanche d'écume. Le vaisseau de Trachine est lui-même ballotté suivant le caprice des ondes. Tantôt, du sommet d'une lame, comme de la cime d'une montagne, il semble que le regard plonge dans des vallées et jusqu'au fond de l'Achéron, tantôt, lorsque, descendu au creux de la vague, il est environné par l'eau qui se courbe en volutes, il semble que, du fond du gouffre hivernal, l'oeil découvre, tout en haut, le ciel. Souvent son flanc, battu par le flot, résonne avec fracas, et le coup retentit avec un bruit pareil à celui du bélier de fer ou de la baliste battant en brèche les murs d'une citadelle. (v.510) Et, comme font les lions quand, d'un élan qui redouble leurs forces, ils se jettent poitrail découvert, sur les armes et les piques dont la pointe les menace, ainsi le flot soulevé par les vents déchaînés a**aillait les agrès du vaisseau et montait bien au dessus d'eux. Et déjà les chevilles jouent, et le joint des bordages, dépouillé de son enduit protecteur de cire, livre pa**age aux ondes fatales. Voici que tombe à torrents, des nuages fondant en eau, la pluie : on croirait que le ciel entier descend dans la mer, tandis que la mer soulevée se hausse jusqu'au régions célestes. L'orage a trempé les voiles, et les eaux du ciel se mêlent à celles de la mer. Les feux des astres sont éteints dans l'éther. L'obscurité de la nuit s'épaissit des ténèbres de la tempête jointes à ses propres ténèbres, que cependant les éclairs déchirent et illuminent ; les ondes sont embrasées par les feux de la foudre. Et le flot maintenant pénètre, à travers la membrure, dans les flancs de la carène : comme un soldat, dont la valeur fait plus de prodiges que toute une troupe, après avoir à plusieurs reprises tenté l'escalade des murs d'une ville forte, atteint enfin le but convoité et, enflammé de l'amour de la gloire, entre mille guerriers prend enfin, seul, pied sur la muraille ; ainsi, quand à neuf reprises les flots ont battu les flancs élevés du navire, une dixième vague, se dressant plus énorme, se rue à l'a**aut de la coque fatiguée et s'acharne contre elle jusqu'à ce qu'elle se soit abattue sur le pont du navire comme sur la muraille d'une ville prise. Une part de la mer essayait donc encore d'envahir le navire quand l'autre y avait déjà pénétré. Tous, à bord, s'agitent éperdus, comme on voit s'agiter la population d'une ville quand l'ennemi, en même temps qu'il sape à l'extérieur les murs, les occupe déjà à l'intérieur. (v.535) L'art du pilote est en défaut et les courages défaillent ; autant de vagues survenant, autant de morts, semble-t-il, qui se ruent sur le navire et l'envahissent. L'un ne peut retenir ses larmes ; un autre reste hébété ; celui-là envie le bonheur de ceux qu'attendent les honneurs funèbres ; celui-ci implore la divinité et, tendant vers le ciel, qu'il ne voit pas, des bras inutilement suppliants, il demande son secours ; le souvenir revient à l'un de ses frères, de son père, à l'autre, en même temps que de ses enfants, de sa maison, à chacun, de ce qu'il a laissé derrière lui. Pour Céyx, c'est Alcyoné dont la pensée l'émeut ; sur les lèvres de Céyx, vient un seul nom, celui d'Alcyoné ; et, tout en ne regrettant qu'elle, il se réjouit qu'elle ne soit pas auprès de lui. Il voudrait aussi tourner ses yeux vers les rivages de sa patrie et jeter, à l'instant suprême, un regard vers sa demeure. Mais il ne sait où elle est, si furieusement tourbillonent les flots en effervescence, si complètement l'ombre projetée par les nuages de poix cache tout le ciel, rendant la nuit comme deux fois plus obscure. Sous l'a**aut d'un coup de vent tournoyant et chargé de pluie, le mât est brisé ; brisé aussi le gouvernail ; l'onde, enorgueillie de ces dépouilles, se dresse au-dessus d'elles comme après une victoire, et, s'enroulant en volute, regarde de haut les flots ; puis, aussi pesamment que feraient l'Athos ou le Pinde si, arrachés à leur base, on les précipitait d'un seul bloc en pleine mer, elle s'écroule et retombe, engloutissant sous son poids et sous le choc le navire ; avec lui, nombre des hommes de l'équipage, accablés par la lourde ma**e liquide et qui ne peuvent revenir à l'air libre, voient aussi leur destinée prendre fin. Les autres s'accrochent aux débris de la membrure fraca**ée du vaisseau. Lui-même, de sa main habituée au sceptre, Céyx s'accroche aux épaves du navire, invoquant, hélas! en vain, son beau-père et son père. Mais c'est surtout, tandis qu'il nage, le nom d'Alcyoné, son épouse, qui revient à sa bouche. A elle vont son souvenir et sa pensée. Il souhaite que sous les yeux d'Alcyoné les flots ramènent son corps, que par les mains amies d'Alcyoné son cadavre soit mis au tombeau. Tandis qu'il flotte encore, c'est le nom d'Alcyoné absente que, toutes les fois que la vague lui permet d'entrouvrir les lèvres, il prononce, et qu'il murmure même sous les eaux. Mais voici qu'au-dessus des flots qui l'environnent un arc sombre formé par les eaux se brise, et l'onde, en s'écroulant, recouvre sa tête submergée. Lucifer, cette nuit-là, voilà son éclat et nul n'aurait pu le reconnaître ; et, comme il ne lui fut pas permis de quitter le ciel, il couvrit son visage de nuages épais. (v.573) Cependant, la fille d'Eole, ignorant un si grand malheur, compte les nuits ; déjà elle se hâte de préparer les vêtements que doit mettre Céyx, ceux que, lorsqu'il sera revenu, elle portera elle-même, et se leurre de l'espoir de son retour. Elle portait, à la vérité, son pieux encens à tous les dieux, mais, plus que tous ensemble, c'est Junon qu'elle vénérait dans ses temples, c'est à ses autels qu'elle venait prier pour son époux, qui n'était déjà plus, et adresser des voeux pour qu'il fût sauf, pour qu'il revînt, pour qu'il ne lui préférât aucune femme. Mais de tant de voeux, ce dernier était le seul qu'elle pût voir se réaliser. (v.583) La déesse, de son côté, ne peut supporter plus longtemps ces prières qu'on lui adresse pour un mort ; et, pour écarter de ses autels des mains souillées : « Iris, dit-elle, fidèle messagère de mes ordres, va promptement, dans son palais endormi, rendre visite au Sommeil et ordonne-lui d'envoyer à Alcyoné, sous les traits de Céyx qui n'est plus, un songe qui lui fa**e le véridique récit de son malheur. » Elle dit. Iris s'enveloppe dans ses voiles aux mille couleurs et, dessinant dans le ciel la courbe lumineuse de son arc, elle gagne la demeure, cachée dans un nuage, du roi qu'elle a mission de visiter. (v.592) Il est, près du pays des Cimmériens, une caverne aux profondes retraites, creusée dans la montagne : c'est la demeure aux secrets détours de l'indolent Sommeil. Jamais, ni à son lever, ni au milieu du jour, ni à son coucher, Phoebus, de ses rayons, n'y peut avoir accès. Du sol s'exhalent des vapeurs engendrant d'épaisses ténèbres où flotte une incertaine lueur crépusculaire. L'oiseau vigilant, à la tête ornée d'une crête, n'y appelle pas par ses chants l'Aurore, et ni les chiens attentifs ni l'oie, dont plus subtile encore est l'ouïe, n'y rompent, de leur voix, le silence. Ni bête sauvage, ni troupeau, ni branches agitées par le vent, pas plus que le vacarme de la voix humaine n'y font entendre le moindre bruit. Là règnent le mutisme et le repos. Cependant, du pied du rocher sortent les eaux du Léthé, et l'onde qui s'écoule en murmurant invite au sommeil par le bruissement des cailloux dans son lit. Devant les portes de la grotte fleurissent de féconds pavots et d'innombrables plantes du suc desquelles la Nuit retire la torpeur qu'elle répand, mêlée à son humidité, sur la surface de la terre plongée dans l'ombre. Pour éviter le grincement d'une porte tournant sur ses gonds, il n'y en a aucune dans toute la demeure ; aucun gardien sur le seuil. Au milieu de l'antre, sur une estrade, est un lit d'ébène aux matelas de plumes, d'une seule couleur, recouvert d'un drap sombre ; c'est là que le dieu lui-même est couché, les membres abandonnés et alanguis. Autour de lui, ça et là, sont étendus, ayant revêtu des apparences diverses, des Songes aussi nombreux que la moisson porte d'épis, la forêt de feuilles , le rivage de grains de sable rejetés par la mer. Dès que la vierge messagère fut entrée en ce lieu, écartant de ses mains les Songes qui lui en barraient l'accès, la demeure sacrée fut illuminée par l'éclat de sa robe ; le dieu soulève péniblement ses paupières lourdes et paresseuses, tombe et retombe sur sa couche ; sa tête vacillante vient frapper du menton le haut de sa poitrine ; enfin il s'arracha à lui-même et, accoudé sur son lit, il demande à Iris - car il l'a reconnue - pour quel motif elle vient. Elle, alors : (v.623) « Sommeil, repos des êtres, Sommeil, toi le plus doux des dieux, ô paix de l'âme, toi que fuit le souci, qui détends les corps fatigués par les durs métiers et leur rends des forces pour le travail, ordonne à des Songes capables d'imiter, en les reproduisant exactement, la véritable apparence des choses, qu'ils aillent, dans Trachine, la ville d'Hercule, apparaître à Alcyoné et que, prenant les traits du roi, ils le lui montrent sous l'aspect d'un naufragé. C'est Junon qui le commande. » (v.629) Quand elle eut accompli sa mission, Iris s'éloigna ; car elle ne pouvait supporter plus longtemps l'effet des vapeurs de l'antre ; et, dès qu'elle sentit le sommeil s'insinuer dans ses membres, elle s'enfuit et s'en retourne par le chemin de l'arc qu'elle avait pris pour venir. (v.633) Dans le peuple de ses mille enfants, le Sommeil leur père éveille alors Morphée, habile à prendre toutes les apparences de la figure humaine. Aucun autre ne sait avec plus d'adresse reproduire la démarche, le visage, le son de la voix de la personne qu'on lui indique, et, par surcroît, se mise et ses propos les plus habituels. Mais il n'imite que les hommes. En revanche, un autre se change en bête sauvage, en oiseau, en serpent au corps allongé. Les dieux le nomment Icélos, et le commun des mortels Phobétor. (v.641) Il en est aussi un troisième dont le talent est différent, Phantasos ; celui-là s'identifie, au point qu'on s'y trompe, avec la terre, le rocher, l'onde, le tronc d'arbre, et tous les objets inanimés. Les uns ont coutume d'apparaître, la nuit, aux rois et aux chefs ; d'autres vont visiter les peuples et les gens du commun. Ceux-là, leur aîné, le Sommeil, les laisse de côté et, entre tous leurs frères, choisit Morphée seul pour exécuter les ordres que vient de lui donner la fille de Thaumas. Puis, s'abandonnant de nouveau à son mol alanguissement, il laissa retomber sa tête et l'enfouit dans la profondeur des coussins. (v.650) Morphée prend son vol, sans le moindre bruit de battement d'ailes, à travers les ténèbres, et, en un court espace de temps, arrive dans la ville d'Hémonie ; détachant alors ses ailes de son corps, il prend les traits de Céyx ; et, sous cet aspect, livide, semblable à un mort, sans aucun vêtement, il se tint debout devant la couche de la malheureuse épouse. Sa barbe semble être humide, et l'eau couler à grosses gouttes de ses cheveux mouillés. Alors, se penchant sur le lit, baignant de larmes le visage d'Alcyoné, il dit : (v.658) « Reconnais-tu Céyx, épouse infortunée ? La mort aurait-elle changé mes traits ? Regarde-moi ! Tu me reconnaîtras et tu trouveras, au lieu de ton époux, l'ombre de ton époux. Tes prières, Alcyoné, ne m'ont été d'aucun secours : j'ai péri. Ne te leurre pas de l'espoir que je te sois rendu ; l'Auster, a**embleur de nuages, a surpris mon vaisseau dans les eaux d'Egée, l'a ballotté au gré de son souffle puissant et démembré, les flots ont rempli ma bouche, qui vainement criait ton nom. Et ce n'est pas un messager suspect qui te l'annonce, ce n'est pas par de vagues rumeurs que tu l'apprends : c'est moi-même, qui, naufragé, t'apparais et te fais connaître mon sort. Allons, lève-toi, paie-moi ton tribut de larmes ; prends des vêtements de deuil et ne me renvoie pas dans le Tartare, royaume des ombres, sans avoir été pleuré. » (v.671) Morphée prononça ce discours d'une voix qu'Alcyoné pouvait prendre pour celle de son époux. Il avait aussi paru répandre de véritables larmes et, de la main, il faisait les mêmes gestes que Céyx. Alcyoné, en pleurs, poussa un gémissement ; de ses bras qu'elle agite dans son sommeil, elle cherche à étreindre un corps, et les referme sur le vide. Elle s'écrie : « Reste ! Où t'enfuis-tu ? Nous irons ensemble ! » Troublée par sa propre voix et par l'image apparue de son époux, elle cha**e le sommeil ; et, tout d'abord, elle regarde autour d'elle, cherchant si celui qu'elle vient de voir est bien là. Car ses serviteurs, inquiets au bruit de sa voix, avaient apporté de la lumière. Comme elle ne le trouve nulle part, elle se frappe le visage de la main, déchire ses vêtements qu'elle arrache, tourne ses coups contre sa poitrine même. Sans prendre la peine de dénouer ses cheveux, elle les arrache ; et, sa nourrice lui demandant quelle est la cause de son affliction : (v.684) « Alcyoné n'est plus, elle n'est plus, dit-elle, elle est morte avec son cher Céyx. N'essayez pas de me consoler ! Il a péri dans un naufrage. Je l'ai vu, je l'ai reconnu, et, comme il s'éloignait, désireuse de le retenir, je lui ai tendu les mains. C'était une ombre. Mais une ombre pourtant bien reconnaissable, et celle véritablement de son époux. Il n'avait pas, il est vrai, si tu veux le savoir, son expression accoutumée, ni son teint le même éclat qu'auparavant. C'est pâle, nu, les cheveux encore humides, que je l'ai vu, infortunée. Il était debout, pitoyable, à cette place même » - et elle cherche s'il reste de son pa**age quelques traces. (v.695) « C'était là ce que, d'un coeur plein de pressentiments, je craignais, et je te demandais de ne pas me quitter pour te livrer au gré des vents. Ah ! Je voudrais du moins, puisque tu devais mourir, que tu m'eusses emmenée avec toi. Combien j'aurais gagné à t'accompagner ! Car il n'y aurait ainsi pas eu un seul instant de ma vie que je n'eusse pa**é avec toi, et la mort ne nous aurait pas séparés. Maintenant, tout absente que je suis, j'ai péri ; absente, je suis aussi le jouet des flots et, sans toi, la proie de la mer. J'aurais le coeur plus cruel que la mer elle-même, si je m'efforçais de prolonger mon existence, si je luttais pour survivre à une si grande douleur. Mais si je ne lutterai, ni je ne t'abandonnerai, déplorable époux ; et maintenant je vais aller du moins te rejoindre. Sur le même sépulcre, si ce ne peut être dans la même urne, une même inscription cependant nous unira ; et, si mes ossements ne peuvent être mêlé à tn nom. » La douleur ne lui permet pas d'en dire plus ; chaque mot est accompagné des coups qu'elle se porte, et, de son coeur accablé par la douleur, elle tire des gémissements. (v.710) C'était le matin. Elle sorte de sa demeure pour se rendre au rivage et, morne, elle regagne le lieu d'où elle avait a**isté au départ de son époux. Tandis qu'elle s'y attarde, qu'elle se redit : « C'est ici qu'il a délié les amarres du navire, sur ce rivage qu'avant de partir il m'a donné ses derniers baisers », tandis qu'elle ravive à l'aspect des lieux mêmes le souvenir de tout ce qui s'y pa**a et regarde au loin la mer, sur les flots, à une grande distance, elle voit je ne sais quoi qui ressemble à un corps. Tout d'abord, on pouvait se demander ce que c'était. Puis, quand l'onde l'eut apporté plus près du rivage, et que, malgré la distance, il ne fut plus permis de douter que cétait bien un cadavre, ignorant encore ce qui ce pouvait être, elle fut cependant, parce que c'était un naufragé, émue par ce présage. Et, comme si elle donnait une larme à un inconnu : « Hélas ! malheureux, dit-elle, qui que tu sois ; et malheureuse ton épouse, si tu en as une ! » (v.722) Mais, poussé par les flots, le corps se rapproche. Et plus elle regarde, moins elle est sûre de sa raison. Maintenant que le flot l'a amené dans le voisinage de la terre, maintenant elle le voit a**ez bien pour pouvoir le reconnaître : c'était son époux ! « C'est lui ! » s'écrie-t-elle ; et en même temps elle déchire son visage et ses vêtements, arrache ses cheveux, et, tendant ses mains tremblantes vers Céyx : « C'est donc dans cet état, ô mon époux bien-aimé, dans cet état, déplorable Céyx, que tu me reviens ? » dit-elle. Il est, au bord de l'eau, une jetée, oeuvre de la main de l'homme, qui brise les premiers élans furieux de la mer et amortit les a**auts des flots. Alcyoné y bondit. Même - et ce fut un prodige qu'elle le pût - elle volait, et frappant l'air léger d'ailes qui venaient de naître, elle rasait, oiseau bien digne de pitié, la surface des ondes ; et, dans son vol, sa bouche, aux claquements de son bec effilé, fit entendre une sorte de chant triste et plaintif. Dès qu'elle eut touché le corps désormais sans voix et exsangue, elle enveloppa les membres chéris de ses ailes nouvelles et lui prodigua vainement, de son bec dur, de froids baisers. Céyx l'avait-il senti, ou fut-ce seulement le mouvement des flots qui donna l'illusion qu'il soulevait son visage ? Le peuple se le demandait. Non : il l'avait senti. Et, les dieux les prenant en pitié, tous deux enfin sont changés en oiseaux. Esclaves d'un même destin, ils voient alors encore se perpétuer leur amour, et le lien conjugal ne s'est pas relâché entre eux, tout oiseaux qu'ils sont. Ils s'accouplent, ils se reproduisent. Pendant sept jours paisibles, en hiver, Alcyoné couve dans son nid flottant sur les eaux. La mer alors reste calme. Eole tient les vents emprisonnés et les empêche de sortir, a**urant à ses petits-enfants la sécurité des flots.