Dans la vieille cité française Existe une race de fer Dont l'âme comme une fournaise A de son feu bronzé la chair. Tous ses fils naissent sur la paille Pour palais ils n'ont qu'un taudis. C'est la canaille, eh bien j'en suis. Ce n'est pas le pilier du bagne C'est l'honnête homme dont la main Par la plume ou le marteau Gagne en suant son morceau de pain. C'est le père enfin qui travaille Les jours et quelquefois les nuits. C'est la canaille, eh bien j'en suis. C'est l'artiste, c'est le bohème Qu sans souper, rime, rêveur, Un sonnet à celle qu'il aime Trompant l'estomac par le coeur. C'est à crédit qu'il fait ripaille Qu'il loge et qu'il a des habits. C'est la canaille, eh bien j'en suis. C'est l'homme à la face terreuse Au corps maigre, à l'oeil de hibou Au bras de fer, à main nerveuse Qui sortant d'on ne sait pas où Toujours avec esprit vous raille Se riant de votre mépris. C'est la canaille, eh bien j'en suis. C'est l'enfant que la destinée Force à rejeter ses haillons Quand sonne sa vingtième année Pour entrer dans vos bataillons Chair à canon de la bataille, Toujours il succombe sans cris. C'est la canaille, eh bien j'en suis. Les uns travaillent par la plume, Le front dégarni de cheveux, Les autres martèlent l'enclume Et se saoulent pour être heureux. Car la misère en sa tenaille Fait saigner leurs flanc amaigris. C'est la canaille, eh bien j'en suis.