Jacques Bertin - Les livres lyrics

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Jacques Bertin - Les livres lyrics

J'étais une plante, avec à des moments des sentiments violents qui lui poussent Comme des fleurs ou des déclarations extravagantes, puis parmi la mousse Que font en pourrissant les peuples dans les livres, j'avançais dans des romans Infestés de catastrophes et d'explosions, sous les blasphèmes d'un sergent À d'autres moments j'étais un oiseau volant très au-dessus des solitudes Volant haut et ne voulant surtout rien savoir du monde ni de tous leurs jeux Ou bien je traquais en Guinée un bandit pratiquant avec des façons rudes La traite des fleurs bleues, celle des perles bleues et celle des négresses bleues Toi, tu t'ennuyais en vacances dans une villa dix-neuf cent bien trop grande Fille unique en jupe Vichy, une mère folle, un père dans le coton L'après-midi, énervés par nos avenirs, nous allions nous baigner en bande Avec tes cousins de Neuilly, dans l'eau glacée d'un gave, en sautant des pontons Et nous lisions! Et nous lisions! Notre Sainte-Mecque était la bibliothèque Où règnait, reine des Atlas, et belle, une vieille demoiselle en chignon J'avais pendu mon forban, ta mère pleurait, nous découvrions les Toltèques Les grands mots formidables comme "pariétale" ou "Henri III et ses mignons" Les ministères tombés, les coups d'État ratés... nous lisions! L'alcool, les meurtres... Nous lisions! Le Nil flattait les marbres blonds du gouverneur dans sa palmeraie La mission Flatters avait été ma**acrée par des Touaregs prétendus neutres... Puis ton départ pour Paris, le cri d'un oiseau solitaire dans l'oseraie Ces livres lourds, ces livres bourrés d'épices, de fourrures, de soie, d'indienne Ces livres filaient sous le fouet des averses, les alizés, l'amour, l'espoir Te retrouverai-je jamais, jeune fille diaphane - et ce tome troisième - Les chapitres sur les plages atlantiques dispersés au vent du ciel noir Je me souviens du signal du guetteur accroupi en haut de la tour de l'aube Apercevant venir parmi tout le savoir de nouveaux mots vers la clarté Je me souviens du remugle des pa**ions, et des grands nombres gagnant dans l'ombre Les dentelles tombant du clocher sur les rayonnages, ton front, la beauté J'avais à peine mes douze ans, voici les lueurs jaunes du soir et les bruits Ceux qui durent longtemps dans l'âme et s'enfoncent, voici la douceur et l'ennui Dans l'Aronde Plein-Ciel qui me ramène vers toi je me serais a**oupi cent ans! Comme l'éternellement bel enfant dont le livre enchante la nuit