Ne parlez pas de pays inconnus Ne parlez pas de vivre une autre vie Ne vous hissez pas sur vos pieds pour voir un autre monde Il y a ce collet, à chaque geste il vous étrangle Parlez de la douleur, de ce pays amer Où les corbeaux surveillent la semence Apprenez-vous à vivre dos cloué Ce couteau qui vous blesse vous soit une traîne Habituez vos yeux à une haine puissante Pareille aux armes dans les greniers enta**ées Immobiles dessous les caisses défoncées Une haine comme une femme nue froide et superbe Une haine tenace et bleue, une lumière Une force, une eau vive, un train jeté au sud Une haine attentive et sûre d'elle Une haine qui sait écouter, retenir, qui sait attendre La haine soit pour ceux qui se font les complices des corbeaux Ceux qui possèdent la parole et qui la vendent Les futiles et les faiseurs, les amuseurs et leurs chansons Ceux qui mettent des fleurs à vos chaînes, ceux qui vous flattent Écoutez: la nuit parle, la nuit bat Des poissons d'eau, des peurs, des pleurs, des fleurs inverses Écoutez votre vie est ici ouverte en deux, elle gémit tout bas Mettez la nuque sur la route et retenez votre épouvante Parlez pour vos amis a**is en rond Parlez pour ceux qui roulent dans la nuit Parlez comme si le monde entier était ici Réuni sous vos paupières comme devant l'âtre Parlez pour moi, dites-moi le nom de la peine Ce sanglot qui humecte les fenêtres des cités Dites-moi l'escalier sans fin et la colère Dites-moi votre nom, votre prénom et qui vous aime Et ce chant muselé par les radios bavardes Il brille au fond de nos poches comme un canif Il suinte sur les murs, il bleuit les lézardes Le chant muselé, le chant toujours, le chant des hommes Il nous parle de nous, il nous donne nos armes Il affute les grilles, il ouvre les couteaux On l'entend, c'est le bruit des pas dans les couloirs du métro C'est la respiration lamentable de l'aube dans les gares Ce chant comme un dimanche au sortir des églises Le vent dans les jupes des filles soulevées La haine avec l'amour mêlée, le chant ressuscité Il nous porte en avant de nous, il attend, il exulte Il te parle dans ton oreille penchée Tu lui réponds et ton cœur bat comme un tambour Les mots vont dans les vaisseaux carmins de la terre Un bras sur ton bras est posé qui dit "Écoute" Oh, oh, oh...