Nous étions deux, nous étions trois Nous étions deux, nous étions trois Nous étions trois matelots de Groix Mon tradéri tra trou lon la Mon tradéri tra lanlaire L'avez-vous oublié ? Moi, je l'ai retenu Ce vieil air de marin, chef-d'œuvre d'inconnu Où, du peuple et des flots, l'âme obscure s'exprime Quelques couplets naïfs de sens, veules de rimes Sur cinq notes, pas plus, cinq, mi, ré, do, si, la Avec tradéri tra lanlaire et trou lon la C'est tout ! Mais là-dedans, la mer entière y pa**e Le cri des naufragés, l'haleine de l'espace Les gaietés de ce dur métier et ses effrois C'est la complainte des trois matelots de Groix Nous étions deux, nous étions trois Nous étions deux, nous étions trois Nous étions trois matelots de Groix Mon tradéri tra trou lon la Mon tradéri tra lanlaire Pour la goûter dans sa grandeur mélancolique Il faut l'entendre au soir, quand le soleil oblique Avant de s'en aller, lui dresse son décor Lorsqu'en derniers flocons, sa pourpre saigne encore Tandis qu'à l'autre bout du ciel la nuit reflète Ses cheveux dénoués dans la mer violette Oh, comme le vieil air alors vous entre à fond Chanté là-bas par un qui dans l'ombre se fond Par un pauvre pêcheur qui tourné vers la terre S'enfonce au large sur sa barque solitaire ! Oh, comme le vieil air alors vous entre à fond Chanté là-bas par un qui dans l'ombre se fond Oh, le puissant, le fier poème et pénétrant ! Quelle évocation il fait, quel charme il prend À rouler sur les flots où ce rameur le pousse Avec sa rauque voix que le lointain rend douce ! Mais comment le noter, ce poème, comment En traduire la vie et l'âme, ou le moment L'onde immense, le ciel profond, l'ombre infinie Mystérieusement mêlant leur harmonie ? Comme dans un herbier les goémons défunts Se dessèchent, flétris et perdent leurs parfums Cette musique et ces paroles entendues Sur la mer qui frissonne et dans les étendues Ne vont-elles pas mourir et se flétrir aussi Sur ce froid papier blanc, par ma plume noirci ? Bah ! Les mots, vieux sorciers, ont des métempsychoses Et leurs philtres savants font revivre les choses Essayons ! Nous étions deux, nous étions trois Nous étions deux, nous étions trois Nous étions trois matelots de Groix Mon tradéri tra trou lon la Mon tradéri tra lanlaire Essayons ! Attendri, pourtant non sans gaieté L'air s'élance d'abord vers un vers répété Et là, sur un quasi trille qui pirouette Plane en battant de l'aile ainsi qu'une alouette Nous étions deux, nous étions trois Ma foi oui, deux ou trois, ou bien quatre, peut-être Le compte est au départ, fait par le quartier-maître Mais le compte au retour, ah, qui donc le connaît ? Est-ce qu'on sait jamais sur mer combien l'on est ? On était trois, on n'est plus que deux, cherchez l'autre ! Aujourd'hui, c'est son tour et demain, c'est le vôtre En a-t-on vu partir, dans le grand bénitier ! Mais qu'importe ! Hardi, les gars ! C'est le métier Houp ! Quand même, gaiement, en marins que nous sommes ! Si l'on pensait à ça, la mer serait sans hommes Houp ! Quand même, gaiement, en marins que nous sommes ! Si l'on pensait à ça, la mer serait sans hommes Et le premier couplet va joyeux, s'achevant Sur un coup de gosier qui gueule au nez du vent Et dont le dernier cri s'envole en rires vagues Comme un défi moqueur, à la barbe des vagues Et pourquoi serait-on triste, donc, les gars ? On a fait bonne pêche, on rentre sans dégâts La femme et les petits auront pitance large On arrive. On débarque. On va vendre la charge Et puis, on mangera la soupe de poissons Avec un bon pichet de cidre et de chansons Parbleu, le vent n'est pas toujours si mauvais drille La mer n'est pas toujours rêche comme une étrille Vois, elle est douce, un peu frisante, mais pas plus C'est la brise qu'il faut pour traîner les chaluts Le bateau va comme en rivière une gabare Sans personne au compas, et le mousse à la barre Il faudrait n'être qu'un failli chien de terrien Pour geindre en ce moment et se plaindre de rien Va, du gars, et les pieds pendus sur la poulaine Pare à reprendre en chœur le refrain à voix pleine ! Nous étions deux, nous étions trois Nous allions de Belle-Isle à Groix Bien sûr ! Pourquoi donc triste ? Ah, le sort des marins Un sort à faire envie, une vie à trois brins ! Bitte et bosse qu'on dit en langue matelote ! Mousse à douze ans. Ensuite un congé sur la flotte Puis jusqu'à cinquante ans, inscrit. Après, largué ! Quand près d'un demi-siècle on a bien navigué On touche en s'échouant, épave sur la grève Cent soixante-dix francs de pension, quel rêve ! Mais sur nos pieds pendus vient poudrainer l'embrun Attrape à prendre un ris, mon garçon. Encore un ! V'là la mer qui se fâche et la lame qui brise À c't' heure, c'est le vent du nord qui souffle en brise Mauvais bougre de vent qui vous jette aux récifs Et gifle à contre-poil les paquets d'eau poussifs Range à virer ! Le vieux nous chatouille le ventre Et les filins tendus ronflent creux comme un chantre Le vent du nord vint à souffler Range à virer ! Le vieux nous chatouille le ventre Et les filins tendus ronflent creux comme un chantre C'est vrai qu'il souffle tout de même, et pas pour rire L'eau clapote en bouillons comme une poêle à frire Bon ! Qu'il gimbe tant qu'il voudra dans les agrès Nous en avons troussé bien d'autres au plus près Ce n'est pas encore lui qui verra notre quille Souffle, souffle, mon vieux, souffle à goule écarquille ! Souffle à t'époumoner ! Nous n'y serons pas pris Car la barre tient bon, la toile a ses deux ris Mais l'homme est plus malin que la mer n'est méchante Nous sons parés, mes gars. Holà, du mousse, chante ! Nous allions de Belle-Isle à Groix Nous allions de Belle-Isle à Groix Le vent du nord vint à souffler Mon tradéri tra trou lon la Mon tradéri tra lanlaire Et la voix du pêcheur qui va toujours ramant Là-bas, à l'horizon, n'a pas un tremblement En lançant ce couplet où déjà monte et roule Le râle rauque et sourd dont se gonfle la houle Car il souffle dans la chanson, plus fort, plus dru Le maudit vent du nord, le sacré vieux bourru Et les flots flagellés qu'il rebrousse au pa**age Se cabrent contre lui, lui crachent au visage S'enflent, bondissent, fous, et viennent dans leurs sauts Jusqu'au milieu du pont dégorger leurs naseaux En secouant, épars, leurs crins aux mèches vertes Le bateau coupe eu deux leurs poitrines ouvertes Ou les chevauche, grimpe aux croupes des plus hauts Puis dans des entonnoirs retombe, et les cahots Le déhanchent comme un qui chute d'une écha**e Maintenant, c'est compris, le grain nous fait la cha**e Il faut, sans qu'il nous prenne en biais, filer devant
Sur un tout petit bout de toile dans le vent Le ciel se grée en nuit, d'une nuit sans chandelle Et sur ce grand mur noir pa**ent à tire-d'aile Des nuages blafards, déchiquetés aux flancs Où le bec des éclairs ouvre des accrocs blancs L'averse tombe en fouet en lanières étroites La mer est comme un champ de lames toutes droites Cargue ! Amène ! Encore ! Tout ! Plus de toile au bateau Les ris à l'Irlandaise ! Aïe ! À coups de couteau ! En lambeaux arrachés, le dernier foc s'envole ! La baume en deux, la mât craque, la barre est folle Il souffle, souffle, souffle. En vain l'on s'évertue Pas moyen de virer à la brise têtue Et l'on entend d'ici le bruit tonitruant Des taureaux de la mer aux récifs se ruant C'est la côte, la terre infâme où l'on se broie Aux mâchoires des rocs qui lacèrent leur proie Non, non ! Plutôt que d'être ainsi mis en morceaux Luttons, colletons-nous encore avec les eaux ! Il souffle, souffle, souffle. En vain l'on s'évertue Pas moyen de virer à la brise têtue La chaloupe est servie et la vague est gourmande Mais, l'aviron au poing, c'est l'homme qui commande Le vent du nord vint à souffler Le vent du nord vint à souffler Faut mettre la chaloupe à l'eau Mon tradéri tra trou lon la Mon tradéri tra lanlaire Ah ! Comme elle paraît lamentable d'ici La chanson qui là-bas s'égaille sans souci ! Qui sait si ce pêcheur perdu dans l'ombre grise Ne va pas rencontrer aussi, lui, cette brise Ce vent du nord qui jette aux rochers le bateau ? Un coup par le travers et sa barque fait eau Il est seul, il est loin, il n'a rien que sa rame Pourtant, il va toujours. Il chante. Et tout le drame Qu'il évoque en deux mots sans un pleur dans la voix Tout ce drame surgit, je l'entends, je le vois Ils sont dans la chaloupe, à la rame, à l'aveugle Contre l'eau qui rugit, contre le vent qui beugle Ils ont dégringolé dedans comme ils ont pu Juste à temps, au moment où le mât s'est rompu Où la coque a roulé vers la côte prochaine Plus de pont ! Plus de chambre au bon coffre de chêne ! Plus de voile plus rien que leurs pauvres poings clos Pour taper sur le mufle à la meute des flots Et les monstres sur eux croulent en avalanches Dardent leurs ongles verts, font grincer leurs dents blanches Leur sautent par-dessus quand la barque descend Et tâchent de les prendre à la gorge en pa**ant Et l'on a beau tenir son banc d'une main forte Ils sont tant qu'une gueule à la fin les emporte Quand la chaloupe fut à l'eau Mon matelot tomba dans l'eau Ah ! Maintenant, c'est comme un vol d'oiseaux meurtris Que la chanson là-bas se traîne avec des cris Tandis que le pêcheur disparaît dans la brume Un vol d'oiseaux la**és, lourds, qui perdent leurs plumes ! Roulant et s'écorchant à la pointe des flots Le trille du refrain se déchire en sanglots Un vol d'oiseaux blessés qui ne vont que d'une aile ! Ô tristesse de la lointaine ritournelle ! Cette fois, en chantant, le pêcheur a gémi C'était son matelot, celui-là, son ami Mon matelot tomba dans l'eau, la voix sanglote Il a fait avec moi son congé sur la flotte Partis ensemble, da ! Lâchés ensemble aussi Il était comme moi de la cla**e et d'ici Et du même filet on aurait dit deux mailles Puis, comme toujours, il a femme et marmaille Veuve à c't' heure, orphelins ! Comment vivre pourtant ? Car il n'a rien laissé, pauvre bougre, en partant Sur lui le matelot a sa fortune entière Et quand il tombe à l'eau, c'est l'eau son héritière On n' retrouva que son chapeau Son garde-pipe et son couteau Trois fils et c'est tout ça qu'ils se partageront ! L'un aura le chapeau trop large pour son front Ça ne peut plus servir qu'à demander l'aumône Le plus petit prendra l'étui de cuivre jaune Et l'aîné gardera pour l'heure des repas Le couteau qui coupait le pain qu'il n'aura pas Ah ! L'on rêvait pour eux des existences douces Hein, la mère ! À présent, qu'en fera-t-on ? Des mousses ! Et tout de suite ! Avant leurs douze ans embarqués ! Ou bien ça s'en ira mendier sur les quais Quant à la veuve, pas même ce qu'ont les autres Les consolations des lentes patenôtres Que, sur un tertre vert, on verse avec des pleurs En y mettant un brin de buis, un pot de fleurs ! Car son homme aura bien un coin au champ d'avène Sous ces mots "Mort en mer", mais dans la bière vaine Le corps ne sera pas en terre sous la croix Le corps, le pauvre corps, les flots profonds et froids Le roulent maintenant au hasard des marées Parmi les prés voguant des algues démarrées Où paissent les poissons qui mettront en lambeaux Tous ses membres épars dans de vivants tombeaux Et nul ne lui fera son lit pour qu'il y dorme Il ne restera rien de lui, rien de sa forme Rien qui de ce qu'il fut garde le souvenir Rien qu'on puisse revoir, rien qu'on puisse bénir Il ne restera rien de lui que sa pauvre âme Qu'on entendra pleurer les nuits où la mer brame Et son sabot flottait dans l'eau Ah ! Les enfants sans père et le noyé hideux ! Nous étions trois et nous ne sommes plus que deux Comme il flotte sur l'eau, le sabot solitaire ! Ah ! Pêcheur qui t'en vas, pourquoi fuis-tu la terre ? Ainsi parlent les morts par la bouche des flots Ainsi dit la chanson que rythment leurs sanglots Pourquoi t'en aller sur la vague si fausse Toi qui sais que son creux peut devenir ta fosse ? Pourquoi toujours voguer pour finir comme nous Dans cette tombe où nul ne mettra les genoux ? Ah ! Pêcheur qui t'en vas, reste donc sur la terre Ne vois-tu pas sur l'eau le sabot solitaire ? Mais la voix du pêcheur, plus proche, a retenti Il revient en chantant comme il était parti Revient ce soir et pour repartir à l'aurore Quand il repartira, c'est en chantant encore Toujours brave, toujours d'un cœur insoucieux Sur l'infini des eaux, sous l'infini des cieux Ses filets sont posés. La mer grossit. N'empêche Qu'il est sûr pour demain qu'il fera bonne pêche La femme et les petits ne manqueront de rien Il chante. Ah ! ce métier de chien, de galérien On l'aime, on l'aime tant, d'une amour si têtue ! C'est la mer qui vous plaît, cette mer qui vous tue La mer sait nous manger mais aussi nous nourrir On en a tant vécu qu'on peut bien en mourir ! Et le pêcheur tout près d'arriver à la côte Reprend l'air d'une voix plus joyeuse et plus haute Nous étions deux, nous étions trois Nous étions deux, nous étions trois Va donc, le vent du nord, l'homme qu'un flot emporte La veuve en deuil, les gars orphelins... Bah, qu'importe ! La mer qui fait tout ça ne le fait pas exprès Puis, la mer avant tout et les autres après ! Houp ! Quand même, gaiement, en marins que nous sommes Tant que la mer vivra, la mer aura des hommes Mon tradéri tra lanlaire