Suis-je si vieux, marin sans mer? Toutes les révoltes éteintes
Achèveront de charbonner comme cet amas de vieux pneus
Marin sans vents. Il faudrait se battre pour des causes. Défuntes
Les causes. Morte l'époque. Suis-je déjà vraiment si vieux?
Ce bijou, ce soleil levant, marin souviens-toi, c'est ton âme
Battue d'averses, c'est ton âme, cette joue propre, de vent
"Il rêvera en couleur, celui qui aura bu dans la flamme!"
On se jouait des points cardinaux, des peurs et des quatre éléments
Il y avait aussi, marin! Ces lettres peintes sur des toiles
Belles comme les lèvres des filles peintes, blanches les dents
Nous attendions, bateaux échoués, mais des désirs éperdument
Tendus, souviens-toi et des pleurs de tendresse tissés pour voiles!
On a trahi très peu et puis on a très peu laissé filer
On fait du cabotage. Allez! On fait quand même sa carrière
Mais il y a des tempêtes dans le calme plat des derniers verres
Et des soleils couchants intraitables qui vous feraient chialer
Un bistrot d'un port en hiver... Il pleut dehors et pleut dedans
Et vissé au bar, le fantôme inquiétant du quadragénaire
Qui, pour des adolescents nuls programmés dis donc! en binaire
Parle du seul rythme -du seul!- qui les soulèverait vraiment
L'ordre règne! Les rêves, surtout cette année, ne sont pas chers
Les petits hommes sont conformes, et voyez s'ils sont astiqués!
Oh, jeunes gens, le mal qu'on se donne pour vous domestiquer
Pour vous conduire ici, enfin, où tout se brise sur la mer
Quand la seule richesse au monde c'était la sainte chimère!
Quand les seules vraies amoureuses sont les cent révoltes-mères!
Quand le galion aux cent étendards n'en finit pas de sombrer
Si l'on est vieux, marin sans joie, flamme sans futur, sans été!