« QUAND J'AVAIS VINGT ANS, J'AVAIS DES CRISES DE BONHEUR »
Alexandre Jost a une mission originale : imposer le bien-être citoyen dans le débat public. Avec la Fabrique Spinoza, qu'il a fondée, mais aussi avec l'ONU, l'OCDE... Son idée : l'altruisme comme valeur-synthèse entre l'individu et le collectif. Sa devise : liberté, citoyenneté, altruisme.
Tous les chemins mènent au bonheur. Le jeune Alexandre fait Centrale et part étudier à Berkeley, « pour faire comme les copains ». Aux États-Unis, il découvre une forme d'immunité sociale : « c'est là que je suis devenu libre », se rappelle-t-il. Il quitte ensuite la Californie pour bosser six ans chez Mars & Co, au Brésil, au Mexique, puis en Argentine. Fin du premier acte.
Rentré à Paris en 2006, Alexandre Jost cherche du sens dans son travail. Il écrit alors à cent personnes en leur demandant de lui parler de leur métier. Il rejoint le Groupe SOS, chez qui il se retrouve dans sa « vision de transformation du monde n'étant pas misérabiliste ». Il dirige la R&D et participe à l'élaboration de la stratégie du premier groupe d'entrepreneuriat social en France, découvrant l'idée d'éducation populaire. « Arriver à ce que les citoyens se mettent en capacité de produire des propositions intelligentes » devient le credo de chacune de ses actions. Fin du second acte. Les dîners du bonheur
Un phénomène l'a toujours intrigué. « Quand j'avais vingt ans, j'avais des crises de bonheur. J'étais joyeux et j'ai voulu comprendre pourquoi, s'il y avait des déterminants sociaux », nous dit-il. Il bouquine et fait des « dîners du bonheur » dès 2007, en invitant des chercheurs à s'exprimer sur leurs recherches devant un groupe d'amis. « Nous avions accès à des gens incroyables avec pour seul objet de nous construire nous-mêmes ». Il n'y avait plus qu'à sauter le pas pour créer un think tank politique sur le bien-être citoyen.
Ce sera la Fabrique Spinoza. « Fabrique pour dire que l'on produit des idées, mais aussi des initiatives, et Spinoza car il parle d'affect, qu'il dit que la joie est un besoin car elle génère le courage », nous confie Alexandre Jost. Il quitte SOS et lance la Fabrique le lendemain, en janvier 2011. Depuis, il y développe l'idée que « le bonheur est une aspiration fondamentale et que, pour suivre ce chemin, il faut construire ses réflexions et être équipé. » Il navigue, par éducation et par conviction, entre respect de l'humain et fascination pour la science.
« ON PASSE DIX ANS DE NOTRE VIE DEVANT LA TÉLÉVISION ET NEUF À TRAVAILLER »
La Fabrique
Son think tank, il le veut hors du « faux bottom-up jacobin » des chambres de résonance de pensées construites à Paris. Il veut créer « des lieux où les gens s'approprient les pensées politiques et produisent des contenus politiques innovants. » Pour ce faire, la Fabrique Spinoza diffuse les recherches sur la « science du bonheur » (neurosciences, psychologie du bonheur, psychologie positive...), mais organise aussi la délibération. Comme le dit Alexandre : « On ne peut pas avoir de points de vue purement humanistes ou purement paternalistes ? »
À la Fabrique, on ne vient surtout pas pour prendre des cours de développement personnel, mais pour réfléchir collectivement au bonheur citoyen. Parmi les réflexions : « on pa**e dix ans de notre vie devant la télévision et neuf à travailler. » Il travaille avec le Mouvement pour l'économie positive, le Printemps de l'optimisme et d'autres initiatives pour introduire le sujet du bonheur citoyen trop souvent mis à l'écart. Dans sa démarche de « recherche-action », Alexandre Jost réfléchit à des modèles globaux, organise des expérimentations, déploie des initiatives et espère des effets en cascade. Actuellement, il mène des recherches pour comprendre comment l'altruisme se désapprend à l'école.
Consultant en bonheur
La Fabrique Spinoza travaille aussi avec les entreprises, qui ont besoin d'être humanistes et compétitives , en leur apportant des outils et des mécanismes d'épanouissement de leurs collaborateurs. « Ce happy watching s'appuie sur l'adaptation hédonique : notre cerveau est une machine à détecter la volonté », nous explique Alexandre. Avec sa centaine de bénévoles, il se consacre à la conduite de changements sociétaux et se prend à rêver, un jour peut-être, de « devenir un mouvement politique n'ayant pas envie de prendre le pouvoir ».
Pour l'heure, la Fabrique Spinoza vient de participer à la première Semaine internationale du bonheur et rêverait d'organiser une consultation nationale. « En partant d'une question ouverte, nous pourrions construire un indicateur et redéfinir un cap commun pour notre société », prophétise-t-il. Nos gouvernants pourraient bien l'écouter...