La factrice a des soucis
Elle gagne un peu moins qu'avant
Les PTT c'est joli
Mais faut pas aimer l'argent
«Nous on est privilégiés»
Dit-elle d'un petit air narquois
Au bout de dix ans d'ancienneté
On a cinq mille balles par mois
Elle est fluette et souriante
Son vélo est plus gros qu'elle
J'ai toujours peur quand il vente
Qu'elle disparaisse dans le ciel
À petits coups de pédales
Elle distribue le courrier
Elle remonte le moral
Des vieux croutons du quartier
La factrice a du chagrin
Son gamin qui a quinze ans
Il boit du vin, fume des joints
Et il dit merde aux agents
Son mari, lui, reste au lit
Il lit des bandes dessinées
Que le fiston, dégourdi
Pique dans les supermarchés
Elle me dit «J'en ai a**ez
Il y a des jours, je l'avoue
J'enverrais tout balader
J'foutrais les lettres à l'égout»
J'lui dis «T'as qu'à les virer
Flanque leurs affaires dans la cour
Mais fait quand même gaffe au courrier
J'attends une lettre d'amour»
Elle dit «Les poètes, c'est bien
Y en a un sur mon secteur
Qui m'a donné son bouquin
Je le sais presque par cœur
C'est beau, c'est triste et c'est gai
Et même quand on pleure un peu
Ce qui est chouette, c'est qu'on est
Heureux d'être malheureux»
«Tiens la v'là ta fameuse lettre
C'est toujours les cordonniers
Qu'ont des trous dans les baskets
Moi je reçois jamais de courrier»
Puis elle repart sous la pluie
Dans la capuche du caban
La petite flamme des yeux gris
Brille courageusement