Je n'avais pas seize ans et j'avais dix mille ans Dix mille ans d'aventures, de guerres et de silences Je n'avais pas seize ans et je portais le vent De l'histoire dans mon cœur, mon cœur mort à l'enfance Et l'enfance était là dans les yeux de la fille Dans l'amour exigeant, dans le regard avide Dans les mots pour lui dire que je l'aime, dans les trilles Maladroites d'une guitare exaltée et timide Timide comme mes mains sur ses cheveux laqués Comme mes lèvres sur ses yeux ?, sur son coup frêle Comme ces élans brusques, et nos pauvres idées Sur la vie douce à deux et la pa**ion fidèle C'était des rendez-vous toujours aux cent mille diables Je traversais Paris pour un baiser unique Que nous volions aux temps comptés et redoutables Que possèdent les grandes personnes tyranniques Nous parlions d'avenir en nous aimant très fort À la Varenne, au bord de la Marne, où naguère Raymond Radiguet écrivit Le Diable au corps Elle disait : « J'apprends le métier de secrétaire » Tu seras poète ; je rangerai tes papiers Peut-être aussi feras-tu professeur des lettres C'est mieux pour les parents, si on veut se marier Comme ça on sera chez nous sans avoir fait de dettes Un matin de printemps, je lui ai pris la main Dans un café près de la gare de la Bastille Je lui dis « Je veux faire l'amour », elle dit « Demain Ou plus tard, j'ai si peur que ça me rende vile »
Ces caresses dans le ventre, des cafés brumeux Ces baisers infinis au cœur de la déroute Cette Seine qui coule pour les amoureux Emportant une pelle et les ramenant toutes Ô mon premier amour, mon enfance engorgée Par tant de fausses femmes au carrefour du rêve Ô mon premier amour, mon enfance saoulée Par le vent du désir quand le bonheur se lève Un matin de printemps, je lui ai pris la main Nous sortimes du café brumeux dans la rue Il y avait du soleil, des gens, il n'y avait rien Que volant dans la tête l'idée de la voir nue Et nous somme montés dans un hôtel immonde Une grosse femme nous tendit la fiche de police Le savon, la serviette, et l'avenir du monde Dans sa revue posée sur ses genoux infirmes Nous avons fait l'amour comme des enfants sages Projetés dans l'enfer où tout devient possible Où tout ce que l'on rêve sort enfin du mirage Et qu'on ose toucher tant cela est terrible Notre amour a vieilli plus vite que nos cœurs Nous voulions nous noyer alors qu'il fallait boire Nous voulions le malheur plutôt que le bonheur Séparés l'un de l'autre, puis ce fut la nuit noire Ô mon premier amour, ô mes nuits sans sommeil Ô mes poêmes écrits sur le dos de l'enfance À cheval sur son cœur, à d'autres cœurs pareil Parce qu'à chaque amour le premier recommence