(v.617) Pour Briarée, Cottos, Gyès. du jour où d'eux leur père eut pris ombrage, il les lia d'un lien puissant, jaloux de leur force sans pareille, de leur stature, de leur taille, etil les relégua sous la terre aux larges routes. C'est là qu'en proie à la douleur dans leur demeure souterraine, ils gîtaient au bout du monde, aux limites de la vaste terre, depuis longtemps affligés, porant un deuil terrible au coeur. Mais le fils de Cronos et les autres dieux immortels qu'avait enfantés de l'amour de Cronos, Rhéia aux beaux cheveux, sur les conseils de Terre, les ramenèrent au jour. Car Terre leur avait tout dit expressément : c'étaient là ceux par qui ils obtiendraient le succès et un renom éclatant. Depuis de longs jours déjà, peinant douloureusement, ils combattaient les uns contre les autres au cours des mêlées puissantes, les dieux Titans et les fils de Cronos, établis, les uns — les Titans altiers — sur le haut de l'Othrys, les autres, sur l'Olympe &dash les dieux auteurs de tous bienfaits, qu'avait enfantés Rhéia aux beaux cheveux unie à Cronos. Les uns contre les autres, un courroux douloureux au coeur, sans répit, ils combattaient depuis dix années pleines, et nul dénoûment, nul terme à la rude lutte n'apparaissait à aucun des deux partis ; pour tous également la fin de la guerre restait en suspens. Mais quand à ceux-là les dieux eurent offert ce qui était séant, le nectar et l'ambroisie, dont ils sont seuls à goûter, dans leur poitrine à tous se gonfla leur coeur valeureux. Le père des dieux et ds hommes leur tint alors ce langage : [ Prêtez-moi l'oreille, radieux enfants de Terre et de Ciel, pour qu'ici je vous dise ce qu'en ma poitrine me dicte mon coeur. Il y a de longs jours déjà que, les uns contre les autres, pour le succès et la victoire, nous combattons chaque jour, les dieux Titans et nous, les enfants de Cronos. A vous de révéler ici, face aux Titans, votre force terrible et vos bras invincibles dans l'atroce bataille. Songez à faire preuve de loyale amitié, vous qui devez à notre seul vouloir le bienfait de revoir le jour, libres d'un lien cruel au fond des brumes ténébreuses. ] (v.655) Ainsi parlait-il, et Cottos, le héros accompli, à son tour répliquait : [ Las ! seigneur, tu ne nous révèles rien dont nous ne soyons instruits. Nous savons bien que tu l'emportes par le sens et par l'esprit : tu as des Immortels écarté le mal frissonnant. Grâce à ta sagesse, du fond des brumes ténébreuses, libres de liens incléments, nous sommes revenus ici, seigneur, fils de Cronos, par un bienfait inespéré. C'est pourquoi, d'un coeur inflexible, de tout notre sage vouloir, nous lutterons pour votre victoire, dans la redoutable rencontre, en combattant les Titans au cours des mêlées puissantes ]. (v.665) Ainsi parlait-il, et les dieux auteurs de tous bienfaits applaudirent à ses paroles. Leur coeur plus que jamais avait soif de guerre ; et tous, dieux et déesses, en ce jour éveillèrent un horrible combat — tous, les dieux Titans, et les fils de Cronos, et ceux qu'avait ramenés Zeus de l'Érèbe souterrain au jour, terribles et puissants, doués de force sans pareille. Ils avaient chacun cent bras, qui jaillissaient, terribles, de leurs épaules, ainsi que cinquante têtes, attachées près de l'épaule à leurs corps vigoureux. Et lors ils se dressèrent en face des Titans dans l'atroce bataille, tenant des rocs abrupts dans leurs mains vigoureuses. Les Titans, à leur tour, avec entrain raffermissaient leurs rangs, et des deux côtés on montrait ce que peuvent la force et les bras. Terriblement, à l'entour, grondait la mer infinie. La terre soudain mugit à grande voix, et le vaste ciel, ébranlé, lui répondait en gémissant. Le haut Olympe chancelait sur sa base à l'élan des Immortels. Un lourd tremblement parvenait jusqu'au Tartare brumeux, mêlé à l'immense fracas de pas lancés dans une ruée indicible, ainsi que de puissants jets d'armes. Ils allaient ainsi se lançant des traits chargés de sanglots, et, des deux côtés, les voix en s'appelant montaient jusqu'au ciel étoilé, tandis que tous se heurtaient en un tumulte effrayant. (v.686) [Et Zeus lui-même cessait alors de retenir sa fougue; et, la fougue aussitôt emplissant son âme, il déployait sa force tout entière. A son tour, il venait du ciel et de l'Olympe, lançant l'éclair sans répit, et, de sa main vigoureuse, les carreaux de la foudre volaient accompagnés de tonnerre et d'éclairs, faisant tournoyer la flamme divine, précipitant leurs coups. Et, tout autour, le sol, source de vie, crépitait, en feu ; et, en proie, à la flamme, les bois immenses criaient à grande voix. La terre bouillait toute, et les flots d'Océan, et la mer inféconde. Un souffle brûlant enveloppait les Titans fils du sol, tandis que la flamme montait, immense, vers la nue divine, et qu'en dépit de leur force, ils sentaient leurs yeux aveuglés, quand flamboyait l'éclat de la foudre et de l'éclair. Une prodigieuse ardeur pénétrait l'abîme. Le spectacle aux yeux, le son aux oreilles était pareils à ceux que feraient, en se rencontrant, la terre et le ciel épandu. Le bruit ne serait pas plus fort, si, l'une s'écroulant, l'autre s'écroulant sur elle : tant était terrible celui des dieux se heurtnt au combat ! Et les vents, se mettant de la partie, faisaient vibrer le sol ébranlé, la poussière soulevé, le tonnerre, l'éclair, la foudre flamboyante, armes du grand Zeus, et allaient porter les cris et les défis entre les fronts opposés. Un fracas effrayant sortait de l'épouvantable lutte, où se révélaient de puissants exploits. Alors, le combat déclina ; jusque-là, les uns contre les autres, tous obstinément, sans faiblir, luttaient dans des mêlées puissantes]. (v.713) Mais au premier rang Cottos, Briarée, Gyès, insatiables de guerre, éveillèrent un âpre combat ; et c'étaient trois cents pierres que leurs bras vigoureux envoyaient coup sur coup. Sous des ma**es sombres de traits ils écrasèrent les Titans; puis ils des dépêchèrent sous la terre aux larges routes, et là, ils lièrent de liens douloureux les orgeuilleux qu'avaient vaincus leurs bras, aussi loin désormais au-dessous de la terre que le ciel l'est au dessus une enclume d'airain tomberait du ciel durant neuf jours et neuf nuits, avant d'atteindre le dixième jour à la terre ; et, de même, une enclume d'airain tomberait de la terre durant neuf jours et neuf nuits, avant d'atteindre le dixième jour au Tartare. Autour de ce lieu court un mur d'airain. Un triple rang d'ombre en ceint la bouche étroite. Au-dessus ont poussé les racines de la terre et de la mer inféconde C'est là que les Titans sont cachés dans l'ombre brumeuse, par le vouloir de Zeus, a**embleur de nuées. Ils ne peuvent sortir : Poseidon a sur eux clos des portes d'airain, le rempart s'étend de tous les côtés ; là enfin habitent Gyès, Cottos, Briarée au grand coeur, gardiens fidèles, au nom de Zeus qui tient l'égide. (v.735) [Là sont, côte à côte, les sources, les extrémités de tout, de la terre noire et du Tartare brumeux, de la mer inféconde et du ciel étoilé, lieux affreux et moisis, qui font horreur aux dieux, abîme immense dont on n'atteindrait pas le fond, une année entière se fût-elle écoulée depuis qu'on en aurait pa**é les portes : bourrasque sur bourrasque vous emporterait, cruelle, tantôt ici, tanôt là, prodige effrayant, même pour les dieux immortels. Là se dresse l'effrayante demeure de l'infernale Nuit, qu'enveloppent de sombres nuées.] (v.747) [Devant cette demeure, le fils de Japet, debout, soutient le vaste ciel de sa tête et de ses bras infatigables, sans faiblir. C'est là que Nuit et Lumière du Jour se rencontrent et se saluent, en franchissant le vase seuil d'airain. L'une va descendre et rentrer à l'heure même où l'autre sort, et jamais la demeure ne les enferme toutes les deux à la fois ; mais toujours l'une est au dehors, parcourant la terre, tandis que, gardant la maison à son tour, l'autre attend que vienne pour elle l'heure du départ. L'une tient en mains pour les hommes la lumière qui luit à d'innombrables yeux ; l'autre porte en ses bras Sommeil, frère de Trépas : c'est la pernicieuse Nuit, enveloppe d'une nuage de brume.] (v.768) [Là s'élève en face de l'arrivant, la demeure sonore du dieu des enfers, le puissant Hadès, et Perséphone la redoutable. Un chien terrible en garde l'approche, implacable et plein de méchante ruse : ceux qui entrent, ils les flatte à la fois de la queue et des oreilles ; mais ensuite il leur interdit le retour et, sans cesse à l'affût, il dévore tous ceux qu'il surprend sortant des portes.] (v.775) [Là réside une déesse odieuse aux Immortels, la terrible Styx, fille aînée d'Océan, le fleuve qui va coulant vers sa source. Elle habite, loin des dieux, une illustre demeure que couronnent des rocs élevés et que de tous côtés des colonnes d'argent dressent vers le ciel. La fille de Thaumas, Iris aux pireds rapides, y vient rarement, sur le large dos de la mer, signifier un message : il faut qu'une querelle, un discord se soit élevé parmi les Immortels. Alors, pour savoir qui ment parmi les habitants de l'Olympe, Zeus envoie Iris chercher en ce lointain séjour [ le grand serment des dieux ], Dans une aiguière d'or elle rapporte l'eau au vaste renom, qui tombe,glacée, d'un rocher abrupt et haut. C'est un bras d'Océan, qui, du fleuve sacré, sous la terre aux larges routes, ainsi coule, abondant, à travers la nuit noire. Il représente la dixième partie des eaux d'Océan. Avec les neufs autres, en tourbillons d'argent, Océan s'enroule autour de la terre et du large dos de la mer, avant d'aller se perdre dans l'onde salée. Celle-là vient seule déboucher ici du haut d'un rocher, fléau redouté des dieux. Quiconque, parmi les Immortels, maîtres des cimes de l'Olympe neigeux, répand cette eau pour appuyer un parjure, reste gisant sans souffle une année entière. Jamais plus il n'approche de ses lèvres, pour s'en nourrir, l'ambroisie ni le nectar. Il reste gisant sans haleine et sans voix sur un lit de tapis : une torpeur cruelle l'enveloppe. Quand le mal prend fin, au bout d'une grande année, une série d'épreuves plus dures encore l'attend. Pendant neuf années il est tenu loin des dieux toujours vivants, il ne se mêle ni à leurs conseils ni à leurs banquets durant neuf années pleines ; ce n'est qu'à la dixième qu'il revient prendre part aux propos des Immortels, maîtres du palais de l'Olympe : si grave est le serment dont les dieux ont pris pour garantie l'eau éternelle et antique de Styx, qui court à travers un pays rocheux.] (v.808) [Là sont côte à côte, les sources, les extrémités de tout, de la terre noire et du Tartare brumeux, de la mer inféconde et du ciel étoilé, lieux affreux et moisis, qui font horreur aux dieux. Là sont des portes resplendissantes, ainsi qu'un seuil d'airan, inébranlable, appuyé sur des racines sans fin, taillé par la nature. C'est devant ce seuil, loin de tous les dieux, qu'habitent les Titans, au delà de l'abîme brumeux, tandis que les illustres auxilaires de Zeus retentissant ont leur demeure au-dessous du lit d'Océan — Cottos et Gyès du moins ; pour Briarée à raison de sa bravoure, l'Ébranleur de la terre aux lourds grondements en a fait son gendre, en lui donnant pour épouse sa fille Cymopolée.] (v.820) [Mais lorsque Zeus du ciel eut cha**é les Titans, l'énorme Terre enfanta un dernier fils, Typhée, de l'amour du Tartare, par la grâce d'Aphrodite d'or. Ses bras sont faits pour des oeuvres de force, et jamais ne se la**ent ses pieds de dieu puissant. De ses épaules sortaient cent têtes de serpent, d'effroyable dragon, dardant des langues noirâtres ; et des yeux éclairant ces prodigieuses têtes jaillissait, par-dessous les sourcils, une lueur de feu ; et des voix s'élévaient de toutes ces têtes terribles, faisant entendre mille accents d'une indicible horreur. Tantôt, c'étaient des sons que les dieux seuls comprennent ; tantôt la voix d'un taureau rougissant, bête altière, à la fougue indomptable, tantôt celle d'un lion au coeur sans merci ; tantôt des cris pareils à ceux des jeunes chiens, étonnants à ouïr ; tantôt un sifflement, que prolongeait l'écho des hautes montagnes. (v.835) Alors une oeuvre sans remède se fût accomplie en ce jour ; alors Typhée eût été roi des mortels et des Immortels, si le père des cieux et des hommes de son oeil perçant soudain ne l'eût vu. Il tonna sec et fort, et la terre à l'entour retentit d'un horrible fracas, et le vaste ciel au-dessus d'elle et la mer, et les flots d'Océan, et le Tartare souterrain, tandis que vacillait le grand Olympe sous les pieds immortels de son seigneur partant en guerre, et que le sol lui répondait en gémissant. Une ardeur régnait sur la mer aux eaux sombres, allumée à la fois par les deux adversaires, par le tonnerre et l'éclair comme par le feu jaillissant du monstre, par les vents furieux autant que par la foudre flamboyante. La terre bouillait toute, et le ciel, et la mer. De tous côtés, de hautes vagues se ruaient vers le rivage à l'élan des Immortels. Un tremblement incoercible commençait : Hadès frémissait, le souverain des morts dans les enfers, et aussi les Titans, dans le fond du Tartare autour de Cronos, ébranlés par l'incoercible fracas et la funeste rencontre. Et Zeus, ra**emblant sa fougue et saisissant ses armes, tonnerre, éclair et foudre flamboyante, se dressa du haut de l'Olympe et frappa ; et il embrasa d'un seul coup à la ronde les prodigieuses têtes du monstre effroyable ; et, dompté par le coup dont il l'avait cinglé, Typhée, mutilé, s'écroula tandis que gémissait l'énorme Terre. Maid, du seigneur foudroyé, la flamme rejaillit, au fond des âpres et noirs vallons de la montagne qui l'avait vu tomber. Sur un immense espace brûlait là l'énorme terre, exhalant une vapeur prodigieuse ; elle fondait, tout comme fond l'étain, que l'art des jeunes hommes recueille au-dessous du creuset troué où ils l'ont fait chauffer, ou comme le fer le plus résistant, quand, aux vallons de la montagne, le feu dévorant en a fait sa proie, dans le sol divin, sous l'action d'Héphaistos : ainsi fondait la terre sous l'éclat du feu flamboyant. Et Zeus, l'âme en courroux, jeta Typhée dans le vaste Tartare. (v.869) De Typhée sortent les vents fougueux au souffle humide, sauf Notos et Borée et Zéphyr le rapide : ceux-là sont nés des dieux et pour les mortels sont un grand bienfait. Les autres, sur la mer, soufflent à l'étourdie. Ce sont eux qui s'abattent sur le large brumeux, au grand dam des mortels, pour y sévir en cruelle tourmente. Ils vont soufflant, tantôt ici, tanôt là, dispersant les nefs, perdant les équipages, et contre tel fléau il n'est point de recours, lorsqu'on se heurte à lui en mer. D'autres aussi, sur la terre infinie que parent les fleurs, perdent les riantes moissons des hommes nés sur ce sol, en les noyant dans la poussière et dans un pénible gâchis.] (v.881) Et, lorsque les dieux bienheureux eurent achevé leur tâche et réglé par la force leur conflit d'honneurs avec les Titans, sur les conseils de Terre, ils pressèrent Zeus l'Olympien au large regard deprendre le pouvoir et le trône des Immortels, et ce fut Zeus qui leur répartit leurs honneurs. (v.886)