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Gérald Godin (G.G.) : J'ai sous les yeux le Glossaire du parler français au Canada de la Société du parler français au Canada. Ce glossaire est, pour parler en joual, un must pour toute personne qui veut connaître le joual, l'enseigner ou, simplement, faire la distinction entre du faux français et du bon français. André Gervais (A.G.) : Et je constate que vous l'avez acheté en 1971, que vous ne l'aviez donc pas à l'époque où vous écriviez la majorité des poèmes intitulés « cantouques ». Aviez-vous des dictionnaires sous la main à l'époque? G.G. : À l'époque, j'avais Le parler populaire des Canadiens français de Narcisse-Eutrope Dionne et un guide du bon parler français qui alignait sur deux colonnes ce qu'il faut dire et ce qu'il ne faut pas dire : il ne faut pas dire « bines », mais « haricots au porc », par exemple. Mon plaisir consistait à encercler les mots qu'il ne fallait pas dire, à les aligner sur une feuille blanche, à en compter les pieds et à les cla**er par nombre de pieds (les 4, 6, 8, 10 12 pieds). C'était systématique à ce moment-là. Je me faisais une mosaïque de mots peu acceptables en français, mais qui étaient le français du Québec de l'époque. Sur la page de garde du Glossaire..., j'ai noté des mots : « philippe-pompagne », par exemple, qui est le titre d'un jeu qui consistait à mettre une canisse vide sur la bûche pour fendre le bois, à frapper dessus et à aller se cacher le temps que le joueur prenait pour rechercher la canisse et la remettre sur la bûche. Ce nom n'est pas emprunté au glossaire mais on l'utilisait nous, à Champlain, près de Trois-Rivières, en Mauricie donc, et je l'ai noté ici parce que ça me servait d'étincelle pour allumer mes souvenirs de p'tit gars, d'écolier. On dit ailleurs : jeu de l'« anguille-brûle ». Sur la même page, j'ai aussi aligné quatre variantes de la même expression pour dire qu'un enfant est peureux: « chien-en-culotte », « chieux-en-culotte », « chiant-culotte »; j'ai noté les quatre possibilités parce que, là encore, ça me rappelait des souvenirs d'enfance qui ont alimenté mes poèmes de l'époque. Il y a aussi « nu bas »: quelqu'un qui est nu bas est quelqu'un qui a ses bas et pas de souliers, qui se promène en pieds de bas comme on dit. Il y a encore, expression locale, les couples « attelés croche ». Il y a enfin « c'est au boutte » (qu'on disait dans mon temps), avec insistance sur « boutte », version québécoise de « c'est too much » (qu'on dit maintenant). Je n'ai réussi à placer « c'est au boutte » dans aucun poème. Dans ce glossaire, page par page, je soulignais systématiquement les mots qui, pour moi, étaient des évocateurs de souvenirs de ma famille et de la région, pour me rendre compte que la région avait vraiment une langue bien à elle D'ailleurs, des fois on invite des chefs syndicaux de Trois-Rivières à la télévision : tu les écoutes, et ils ont vraiment l'accent du boutte et les mots du coin. C'est un coin de bûchage et de fôremanes, et les mots sont là, implantés, imposés par ces derniers à une majorité du peuple. A.G. : Est-ce que les fôremanes sont des gens de la région, mais vendus comme on dit, ou ils viennent de l'extérieur? G.G. : En général, c'étaient des importés comme on dit, qui avaient les plus belles maisons du village de bûcherons, payaient probablement des loyers ridicules et, ainsi, dominaient même du point de vue architectural. A.G. : Pourriez-vous commenter ce que vous dites à Donald Smith (Lettres québécoises, mars 1976) : « À Trois-Rivières, ville industrielle, j'ai appris la langue du fôremane avec les bûcherons descendant à La Tuque et les marins qui débarquent. À la ferme de Batiscan, pendant les vacances au bord de la rivière [du même nom], j'ai appris la langage du terroir. C'est un beau transfert, de la main du bûcheron au poète. J'ai vécu ces mots-là. » G.G. : Je parle autant de mon enfance, de mon adolescence et de l'époque de mes débuts dans le journalisme. Tout ça est pas mal amalgamé dans mes souvenirs. A.G. : Il y a trois milieux différents : la forêt, le fleuve et le terroir. G.G. : Le terroir, c'est vraiment les travaux et les jours des habitants comme on disait, et les habitants se surnommaient eux-mêmes les « cous rouges » (ayant des coups, de soleil dans le cou). La ferme, c'était adolescence. Mon tuteur s'appelait Jean-Marie Marchand, il était trappeur et cultivait le tabac. J'ai appris alors le vocabulaire relié à cette culture, les « jetons », par exemple, ce que les Français appellent les « gourmands ». C'est une petite feuille qui pousse entre les feuilles et le tronc, et qu'il faut enlever avec le pouce tout le long d'une allée; comme le tabac est gommeux, on a facilement un millimètre de jus de tabac collé après le pouce qu'il faut enlever pendant que c'est frais, sinon on en a pour des semaines. Je me souviens aussi qu'on avait notre paye du bonhomme Marchand le vendredi soir; on prenait l'autobus et on descendait à Trois-Rivières voir l'exposition agricole et les tentes de filles tout nues comme on disait, comme si « tout nues » était plus vu que « toutes nues ». On dit aussi de quelqu'un qui n'a pas une cenne, qui est pauvre comme Job, qu'il est « tout nu ». De cette époque, j'ai aussi appris et retenu d'autres réalités. Quand on tuait le cochon puis l'ébouillantait, quand on swignait le poulet sur un coin de grange, quand on tuait les bouvillons en les a**ommant à coups de ma**e dans le front puis qu'on leur donnait le coup de couteau dans la jugulaire. Quelqu'un recueillait le sang et le buvait illico, encore frais. C'était vraiment impressionnant à voir pour un p'tit gars de la ville. Ma mère avait engagé une gardienne d'enfants qui est devenue ma deuxième mère, en fait, et moi son préféré. Elle m'emmenait chaque été chez son fiancé, Jean-Marie Marchand. Là, à Batiscan, j'ai été « adopté » par eux comme étant un autre enfant : ils en ont fait quatre après, mais j'étais le premier. Je n'ai pas parlé de ça dans mes poèmes, mais ça serait peut-être une bonne idée: faire un poème sur la fausse paternité et la vraie paternité. Comment appellerions-nous en québécois le statut d'un enfant qui n'est pas le fils des gens qui sont ses parents? A.G. : En tout cas, la question des parents et de l'enfant revient à plusieurs reprises dans la rétrosceptive: « le jour a mis son manteau noir / et l'ont tire les rideaux / à tire-larigot / du miserere jusques à vitulos / des enfants que tu vitupères / pour leur servir de père » (« Couplets VI », dans Nouveaux poèmes, 1963), « sans héritier sans enfants sans descendant sans suite / sans lignée sans branche et sans progéniture » (« Cantouque des racines », dans Les cantouques, 1966) et « mais qui le guérira de cette migraine / quel homme quelle femme / posant des mains d'enfant / sur les lignes de son destin » (« R. », dans Sarzènes, 1983), par exemple. G.G. : En fait, j'ai deux frères et une sœur. On se voit souvent et on évoque cette époque-là. On a inventé un jeu qui consiste à lever le doigt en l'air et à dire : question! et là on en pose une bizarre, sur ce qu'on a vécu ensemble. Exemple : quelles étaient les couleurs du costume de jockey du conducteur [Honorat Larochelle] du cheval le plus rapide de l'époque [Guy H., le H. venant ici de Honorat, prénom a**ez spécial]? À chaque party du jour de l'an, on joue à ça, et ça fait vingt ans!