François Rabelais - Chapitre I - De l'origine et antiquité du grand Pantagruel lyrics

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François Rabelais - Chapitre I - De l'origine et antiquité du grand Pantagruel lyrics

Ce ne sera chose inutile ne oysifve, veu que sommes de sejour, vous ramentevoir la premiere source et origine dont nous est né le bon Pantagruel : car je voy que tous bons hystoriographes ainsi ont traicté leurs Chronicques, non seullement les Arabes, Barbares et Latins, mais aussi Gregoys, Gentilz, qui furent buveurs eternelz. Il vous convient doncques noter que, au commencement du monde (je parle de loing, il y a plus de quarante quarantaines de nuyctz, pour nombrer à la mode des antiques Druides), peu après que Abel fust occis par son frere Caïn, la terre embue du sang du juste fut certaine année si tres fertile en tous fruictz qui de ses flans nous sont produytz, et singulièrement en mesles, que on l'appella de toute memoire l'année des grosses mesles, car les troys en faisoyent le boysseau. En ycelle les Kalendes feurent trouvées par les breviaires des Grecz. Le moys de mars faillit en Karesme, et fut la my oust en may. On moys de octobre, ce me semble, ou bien de septembre (affin que je ne erre, car de cela me veulx je curieusement guarder) fut la sepmaine, tant renommée par les annales, qu'on nomme la sepmaine des troys jeudis : car il y en eut troys, à cause des irreguliers biss**tes, que le soleil bruncha quelque peu, comme debitoribus, à gauche, et la lune varia de son cours plus de cinq toyzes, et feut manifestement veu le movement de trepidation on firmament dict Aplane, tellement que la Pleiade moyene, laissant ses compaignons, declina vers l'Equinoctial, et l'estoille nommé l'Espy laissa la Vierge, se retirant vers la Balance, qui sont cas bien espoventables et matieres tant dures et difficiles que les Astrologues ne y peuvent mordre ; aussy auroient ilz les dens bien longues s'ilz povoient toucher jusques là. Faictes vostre compte que le monde voluntiers mangeoit desdictes mesles, car elles estoient belles à l'œil et delicieuses au goust ; mais tout ainsi comme Noë, le sainct homme (auquel tant sommes obligez et tenuz de ce qu'il nous planta la vine, dont nous vient celle nectaricque, delicieuse, precieuse, celeste, joyeuse et deïficque liqueur qu'on nomme le piot), fut trompé en le beuvant, car il ignoroit la grande vertu et puissance d'icelluy, semblablement les hommes et femmes de celluy temps mangeoyent en grand plaisir de ce beau et gros fruict. Mais accidens bien divers leurs en advindrent, car à tous survint au corps une enfleure très horrible, mais non à tous en un mesme lieu. Car aulcuns enfloyent par le ventre, et le ventre leur devenoit bossu comme une grosse tonne, desquelz est escript : " Ventrem omnipotentem ", lesquelz furent tous gens de bien et bon raillars, et de ceste race nasquit sainct Pansart et Mardy Gras. Les aultres enfloyent par les espaules, et tant estoyent bossus qu'on les appelloit montiferes, comme porte montaignes, dont vous en voyez encores par le monde en divers s**es et dignités, et de ceste race yssit Esopet, duquel vous avez les beaulx faictz et dictz par escript. Les aultres enfloyent en longueur, par le membre, qu'on nomme le laboureur de nature, en sorte qu'ilz le avoyent merveilleusement long, grand, gras, gros, vert et acresté à la mode antique, si bien qu'ilz s'en servoyent de ceinture, le redoublans à cinq ou à six foys par le corps ; et s'il advenoit qu'il feust en poinct et eust vent en pouppe, à les veoir eussiez dict que c'estoyent gens qui eussent leurs lances en l'arrest pour jouster à la quintaine. Et d'yceulx est perdue la race, ainsi comme disent les femmes, car elles lamentent continuellement qu' Il n'en est plus de ces gros, etc. vous sçavez la reste de la chanson. Aultres croissoient en matiere de couilles si enormement que les troys emplissoient bien un muy. D'yceulx sont descendues les couilles de Lorraine, lesquelles jamays ne habitent en braguette : elles tombent au fond des chausses. Aultres croyssoient par les jambes, et à les veoir eussiez dict que c'estoyent grues ou flammans, ou bien gens marchans sus escha**es, et les petits grimaulx les appellent en grammaire Jambus. Es aultres tant croissoit le nez qu'il sembloit la fleute d'un alambic, tout diapré, tout estincelé de bubeletes, pullulant, purpuré, à pompettes, tout esmaillé, tout boutonné et brodé de gueules, et tel avez veu le chanoyne Panzoult et Piédeboys, medicin de Angiers ; de laquelle race peu furent qui aima**ent la ptissane, mais tous furent amateurs de purée septembrale. Nason et Ovide en prindrent leur origine, et tous ceulx desquelz est escript : « Ne reminiscaris » Aultres croissoyent par les aureilles, lesquelles tant grandes avoyent que de l'une faisoyent pourpoint, chausses et sayon, de l'autre se couvroyent comme d'une cape à l'Espagnole, et dict on que en Bourbonnoys encores dure l'eraige, dont sont dictes aureilles de Bourbonnoys. Les aultres croissoyent en long du corps. Et de ceulx là sont venuz les Geans, Et par eulx Pantagruel ; Et le premier fut Chalbroth, Qui engendra Sarabroth, Qui engendra Faribroth, Qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de souppes et regna au temps du deluge, Qui engendra Nembroth, Qui engendra Athlas, qui avecques ses espaulles garda le ciel de tumber, Qui engendra Goliath, Qui engendra Eryx, lequel fut inventeur du jeu des gobeletz, Qui engendra Tite, Qui engendra Eryon, Qui engendra Polypheme, Qui engendra Cace, Qui engendra Etion, lequel premier eut la verolle pour n'avoir beu frayz en esté, comme tesmoigne Bartachim, Qui engendra Encelade, Qui engendra Cée, Qui engendra Typhoe, Qui engendra Aloe, Qui engendra Othe, Qui engendra Ægeon, Qui engendra Briaré, qui avoit cent mains, Qui engendra Porphirio, Qui engendra Adamastor, Qui engendra Antée, Qui engendra Agatho, Qui engendra Pore, contre lequel batailla Alexandre le Grand, Qui engendra Aranthas, Qui engendra Gabbara, qui premier inventa de boire d'autant, Qui engendra Goliath de Secundille, Qui engendra Offot, lequel eut terriblement beau nez à boyre au baril, Qui engendra Artachées, Qui engendra Oromedon, Qui engendra Gemmagog, qui fut inventeur des souliers à poulaine, Qui engendra Sisyphe, Qui engendra les Titanes, dont nasquit Hercules, Qui engendra Enay, qui fut très expert en matiere de oster les cerons des mains, Qui engendra Fierabras, lequel fut vaincu par Olivier, pair de France, compaignon de Roland, Qui engendra Morguan, lequel premier de ce monde joua aux dez avecques ses bezicles, Qui engendra Fraca**us, duquel a escript Merlin Coccaie, Dont nasquit Ferragus, Qui engendra Happe mousche, qui premier inventa de fumer les langues de beuf à la cheminée, car auparavant le monde les saloit comme on faict les jambons, Qui engendra Bolivorax, Qui engendra Longys, Qui engendra Gayoffe, lequel avoit les couillons de peuple et le vit de cormier, Qui engendra Maschefain, Qui engendra Bruslefer, Qui engendra Engolevent, Qui engendra Galehault, lequel fut inventeur des flacons, Qui engendra Mirelangault, Qui engendra Galaffre, Qui engendra Falourdin, Qui engendra Roboastre, Qui engendra Sortibrant de Conimbres, Qui engendra Brushant de Mommiere, Qui engendra Bruyer, lequel fut vaincu par Ogier le Dannoys, pair de France, Qui engendra Mabrun, Qui engendra Foutasnlon, Qui engendra Hacqueebac, Qui engendra Vitdegrain, Qui engendra Grand gosier, Qui engendra Gargantua, Qui engendra le noble Pantagruel, mon maistre. J'entens bien que, lysans ce pa**aige, vous faictez en vous mesmes un doubte bien raisonnable et demandez comment est il possible que ainsi soit, veu que au temps du deluge tout le monde perit, fors Noë et sept personnes avecques luy dedans l'Arche, au nombre desquelz n'est mis ledict Hurtaly ? La demande est bien faicte, sans doubte, et bien apparente ; mais la responce vous contentera, ou j'ay le sens mal gallefreté. Et, parce que n'estoys de ce temps là pour vous en dire à mon plaisir, je vous allegueray l'autorité des Ma**oretz, bons couillaux et beaux cornemuseurs Hebraïcques, lesquelz afferment que veritablement ledict Hurtaly n'estoit dedans l'Arche de Noë ; aussi n'y eust il peu entrer, car il estoit trop grand ; mais il estoit dessus à cheval, jambe de sà, jambe de là, comme sont les petitz enfans sus les chevaulx de boys et comme le gros Toreau de Berne, qui feut tué à Marignan, chevauchoyt pour sa monture un gros canon pevier ; c'est une beste de beau et joyeux amble, sans poinct de faulte. En icelle façon, saulva, après Dieu, ladicte Arche de periller, car il luy bailloit le bransle avecques les jambes, et du pied la tournoit où il vouloit, comme on faict du gouvernail d'une navire. Ceulx qui dedans estoient luy envoyoient vivres par une cheminée à suffisance, comme gens recongnoissans le bien qu'il leurs faisoit, et quelquefoys parlementoyent ensemble comme faisoit Icaromenippe à Jupiter, selon le raport de Lucian. Avés vous bien le tout entendu ? Beuvez donc un bon coup sans eaue. Car, si ne le croiez, non foys je, fist elle.