Francis Bacon - La Nouvelle Atlantide lyrics

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Francis Bacon - La Nouvelle Atlantide lyrics

Note à l'intention du lecteur (par W. Rawley) : Cette fable, mon Maître l'a conçue afin de pouvoir y présenter un modèle ou une description d'un collège qui serait fondé en vue de l'interprétation de la nature et de la production de grandes et merveilleuses oeuvres pour le bien de tout le genre humain, et qui serait nommé la Maison des Salomon, ou encore le Collège de l'Oeuvre des Six Jours. Lord Bacon a mené son travail a**ez avant pour que cet aspect-là au moins de son projet soit achevé. Le modèle proposé est certes trop vaste et trop élevé pour pouvoir être imité en tous points, néanmoins, la plupart des choses décrites ici ne dépa**ent pas les capacités humaines. Sa Seigneurie pensait aussi composer dans cette fable un système de lois, le meilleur moule ou la meilleure constitution pour un gouvernement ; mais il prévoyait que ce serait une tâche de longue haleine, et il en fut détourné par son désir de ra**embler les éléments de son Histoire Naturelle, sa préférence allant de loin à ce dernier travail. Ce texte de La Nouvelle Atlantide, du moins en ce qui concerne l'édition anglaise, Lord Bacon la destinait à figurer ici, eu égard à la parenté de La Nouvelle Atlantide - pour une de ses parties - avec l'Histoire Naturelle. La Nouvelle Atlantide Quittant le Pérou, où nous étions restés pendant une année entière, nous fîmes voile vers la Chine et le Japon, par les mers du Sud, avitaillés pour douze mois. Nous eûmes d'abord des vents d'est favorables, bien que légers et faibles, pendant cinq mois ou plus. Puis le vent tourna, et s'établit à l'ouest pendant des jours et des jours, si bien que nous ne pouvions pour ainsi dire pas avancer, et que nous fûmes parfois sur le point de faire demi-tour. Ensuite des vents violents et forts se levèrent, soufflant du sud-sud-est ; ils nous jetèrent au nord, malgré tous les efforts que nous déployions ; nos vivres, que nous avions pourtant ménagés, se mirent alors à manquer. En sorte que, nous trouvant au beau milieu de la plus grande désolation marine qui soit au monde, sans vivres, nous nous considérions comme des hommes perdus, et nous nous préparions à la mort. Cependant nous élevâmes nos voix et nos coeurs vers Dieu Très-Haut, qui fait voir ses merveilles dans l'abîme, en implorant de sa miséricorde qu'il veuille bien à présent faire surgir pour nous une terre afin que nous ne périssions pas, de même qu'au commencement il découvrit la face de l'abîme et fit apparaître la terre séparée des eaux. Or il advint que le lendemain, vers le soir, nous vîmes comme d'épais nuages, devant nous à l'horizon, en direction du nord, ce qui nous donna quelque espoir de trouver une terre, car nous savions que cette partie des mers du Sud était encore inconnue, et pouvait donc bien receler des îles ou des continents qui n'avaient pas encore été découverts. Aussi, modifiant notre cap, nous fîmes route toute la nuit vers le point où une terre semblait apparaître. Le lendemain, au point du jour, nous fûmes en mesure de distinguer que c'était bien une terre qui, vue de cette distance, avait l'air plate et boisée, ce qui la faisait paraître d'autant plus sombre. Après une heure et demie de navigation, nous entrâmes dans un havre qui était le port d'une jolie ville, certes pas très grande, mais bien conçue et offrant, vue de la mer, un aspect agréable. Comme nous trouvions longue chaque minute qui nous séparait du moment où nous serions à terre, nous nous approchâmes du rivage, prêts à accoster. Mais, tout de suite, nous vîmes plusieurs personnes qui, munies de bâtons, semblaient nous l'interdire ; certes sans cris ni colère, seulement comme si elles nous signifiaient de nous tenir à distance. Alors, tandis que, consternés, nous nous consultions quant à ce qu'il convenait de faire, une petite embarcation s'avança vers nous, à bord de laquelle se trouvaient une huitaine de personnes ; l'une d'elles, qui tenait à la main un bâton fait de canne jaune et dont les deux extrémités étaient bleues, monta à bord, sans manifester la moindre méfiance. Voyant l'un des nôtres se détacher du groupe, ce personnage sortit un petit rouleau de parchemin et le lui remit. C'était un parchemin un peu plus jaune que le nôtre, brillant comme l'enduit des tablettes, mais doux et souple. Il y était écrit, en antique hébreu, en grec ancien, en bon latin cla**ique, et en espagnol, ceci : « Que nul d'entre vous ne débarque. Préparez-vous à quitter cette côte dans les seize jours, à moins qu'il ne vous soit accordé un délai supplémentaire. Entre-temps, si vous voulez de l'eau douce, des vivres ou de l'aide pour vos malades, ou si votre bateau a besoin de réparations, écrivez ce qu'il vous faut, et vous obtiendrez tout ce que la miséricorde commande. » Le parchemin portait un sceau représentant des ailes de chérubin, non pas déployées mais pendantes, et une croix. Ce message remis, l'émissaire repartit, ne laissant qu'un serviteur près de nous pour recevoir notre réponse. Nous nous consultâmes alors, fort perplexes : d'un côté, leur refus de nous laisser débarquer et leur hâte à nous ordonner le départ nous tourmentaient beaucoup ; d'un autre côté, le fait de trouver des gens qui connaissaient plusieurs langues, et qui étaient plein d'humanité, nous réconfortait considérablement. Surtout, le signe de la croix apposé sur ce document nous remplissait de joie et nous sembla un heureux présage. Nous répondîmes en espagnol que nous n'avions pas de difficultés quant à notre navire, puisque nous avions rencontré des calmes et des vents contraires plutôt que des tempêtes. Mais que nos malades étaient nombreux, et dans un état si grave que leur vie serait en danger s'ils n'étaient pas autorisés à descendre à terre. Nous rédigeâmes une liste détaillée de nos requêtes, ajoutant que nous avions quelques marchandises en réserve ; que nous pourrions, si cela leur convenait, les leur donner en échange des choses qui nous étaient nécessaires, afin de ne pas leur être à charge. Nous offrîmes au serviteur quelques pistoles en guise de récompense, ainsi qu'une pièce de velours pourpre à l'intention de son maître ; mais il ne voulut pas les prendre, et c'est à peine s'il daigna nous regarder ; il prit congé de nous et repartit dans un autre canot venu le chercher. Trois heures environ après que nous eûmes envoyé notre réponse, un homme de qualité, semblait-il, vint à nous. Il était vêtu d'une robe aux longues manches, faite en quelque poil de chèvre onduleux d'un magnifique bleu ciel, bien plus chatoyant que le nôtre. Sous cette robe il portait des vêtements de couleur verte auxquels était a**ortie une coiffure en forme de turban élégamment noué et moins volumineux que celui des Turcs, d'où s'échappaient quelques mèches de ses cheveux. Un dignitaire, selon toute apparence. Escorté par quatre personnes seulement, il arriva dans un bateau orné de quelques dorures. Un autre bateau, comptant quelque vingt personnes à son bord, suivait. Lorsqu'il fut parvenu à portée de flèche de notre navire, on nous fit des signes pour nous faire comprendre qu'il nous fallait déléguer quelqu'un pour le rencontrer sur mer, ce que nous fîmes aussitôt en envoyant dans une chaloupe le personnage second seulement en importance à bord, avec quatre des nôtres. Lorsque nous arrivâmes à six yards environ de leur bateau, ils nous hélèrent pour nous dire de nous arrêter et de ne pas approcher davantage, ce que nous fîmes. Alors, l'homme que j'ai décrit plus haut se leva et demanda en espagnol, d'une voix forte :