Chrétien de Troyes - Le Roman d'Yvain, IV lyrics

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Chrétien de Troyes - Le Roman d'Yvain, IV lyrics

Près d'ici tu vas tout de suite trouver un sentier qui t'y mènera. Va tout droit et suis-le bien, si tu ne veux pas gaspiller tes pas, car tu pourrais facilement te fourvoyer : il y a bien d'autres chemins. Tu verras la fontaine qui bout, et qui est pourtant plus froide que du marbre. Le plus bel arbre que Nature ait jamais pu faire lui donne de l'ombre. Il garde son feuillage par tous les temps, car nul hiver ne peut le lui faire perdre. Il y pend un ba**in en fer, attaché à une chaîne qui est si longue qu'elle va jusqu'à la fontaine. A côté de la fontaine, tu trouveras un perron - tu verras bien de quelle sorte, mais je ne saurais te le décrire, car je n'en ai jamais vu de comparable - et, de l'autre côté, une chapelle qui est petite mais très belle. Si tu veux prendre de l'eau dans le ba**in et la répandre sur le perron, tu verras alors se déchaîner une telle tempête qu'aucune bête ne restera dans le bois, ni chevreuil, ni daim, ni cerf, ni sanglier. Même les oiseaux le quitteront, car tu verras une turbulence si puissante - du vent, des arbres mis en pièces, de la pluie, du tonnerre et des éclairs - que, si tu arrives à t'en sortir sans grande peine et sans douleur, tu auras plus de chance qu'aucun chevalier qui y ait jamais été. " Je quittai alors le rustre, qui m'avait si bien indiqué le chemin. Il était peut-être tierce pa**ée, et il pouvait même être près de midi, quand je vis l'arbre et la chapelle. Quant à l'arbre, je peux vous a**urer que c'était le plus beau pin qui ait jamais poussé sur terre. Je ne crois pas que, même lors de l'averse la plus violente, une seule goutte d'eau pa**erait au travers ; elle coulerait, au contraire, complètement par-dessus. Je vis pendu à l'arbre le ba**in, de l'or le plus fin qui ait jamais encore été mis en vente sur quelque foire que ce soit. Croyez-moi, la fontaine bouillait comme de l'eau chaude. Le perron était fait d'une seule émeraude percée comme un tonneau, et dessous il y avait quatre rubis, plus flamboyants et plus vermeils que le soleil au matin quand il paraît à l'orient. Je vous a**ure que jamais, sciemment, je ne vous mentirai d'un seul mot. J'eus alors envie de voir la merveille de la tempête et de l'orage, ce dont je ne me tiens guère pour sage, car je me serais bien volontiers repris, si je l'avais pu, aussitôt que j'eus arrosé la pierre creuse avec l'eau du ba**in. Sans doute en versai-je trop, je le crains, car alors je vis le ciel si perturbé que, de plus de quatorze points, les éclairs me frappaient les yeux ; et les nuages jetaient, pêle-mêle, de la neige, de la pluie et de la grêle. Il faisait un temps si mauvais et si violent que je croyais bien que j'allais mourir à cause de la foudre qui tombait autour de moi et des arbres qui se brisaient. Sachez que je restai terrifié jusqu'au moment où le temps s'apaisa de nouveau. Mais Dieu me ra**ura, car le mauvais temps ne dura guère, et tous les vents se calmèrent ; ils n'osèrent plus souffler dès que Dieu en décida ainsi. la joie que j'en eus me ra**ura tout à fait ; car la joie, si du moins je sais ce que c'est, fait vite oublier un grand tourment. Dès que l'orage fut tout à fait pa**é, je vis, ra**emblés sur le pin, une telle quantité d'oiseaux, si on veut bien me croire, que ni branche ni feuille n'apparaissait qui ne fût complètement couverte d'oiseaux : et l'arbre n'en était que plus beau ! Tous les oiseaux sans exception chantaient, de façon à former entre eux une harmonie parfaite. Et pourtant chacun chantait une mélodie différente, car celle que chantait l'un je ne l'entendis point chanter à l'autre. Je me réjouis de la joie qu'ils faisaient, et j'écoutai jusqu'à ce qu'ils aient chanté leur office jusqu'au bout. Jamais je n'avais entendu exprimer une telle joie, et je crois que personne n'entendra jamais sa pareille, s'il ne va pas écouter celle-ci, car elle me fit plaisir, elle fut si agréable, que je crus en devenir fou. Je restai ainsi jusqu'au moment où j'entendis venir, à ce qu'il me semblait, des chevaliers. Je crus bien qu'ils étaient dix, tant il y avait de bruit et de vacarme, mais en fait c'était un seul chevalier qui s'approchait. Quand je le vis venir tout seul, je resserrai à l'instant même les sangles de mon cheval et ne tardai pas à monter en selle ; quant à lui, il fonça sur moi plein de rage, plus rapide qu'un alérion à l'attaque, et d'aspect aussi féroce qu'un lion. Aussi fort qu'il lui fut possible de crier, il commença par me lancer un défi, en disant : " Va**al, vous m'avez infligé, sans m'avoir défié, une honte et un tort. Vous auriez dû me défier, s'il y avait entre nous un sujet de querelle ; ou au moins vous auriez dû exiger votre droit avant de commettre une agression contre moi. Mais si je peux, seigneur chevalier,