(v.740) Leur vol côte à côte sur la vaste mer a pour témoins un vieillard qui loue leur amour conservé jusqu'au bout. Son voisin, ou le même, peut-être, dit alors : " Cet oiseau aussi, que tu vois parcourant la mer en effleurant, les pattes repliées sous lui, - et il montrait un plongeon au cou allongé, - est un rejeton royal : ses ancêtres, si l'on veut en suivre la série continue des origines jusqu'à lui, sont Ilus, Assaracus, Ganymède qu'enleva Jupiter, Laomédon et le vieux Priam que le sort fit a**ister aux derniers jours de Troie. Il fut le frère d'Hector, et, s'il n'avait vu, dans sa première jeunesse, changer son destin, peut-être aujourd'hui son nom ne serait-il pas moins célèbre que celui d'Hector, bien que la fille de Dymas eût mis au jour celui-ci, et qu'Aesacos eût été, dit-on, enfanté secrètement au pied de l'Ida couvert de forêts par Alexirhoé, née du Granique aux deux cornes. Il détestait les villes et vivait à l'écart de la cour brillante, dans les montagnes solitaires et les campagnes qui ignorent le faste, et ne venait que rarement prendre part aux a**emblées d'Ilion. Comme il n'avait cependant pas un coeur sauvage et inaccessible à l'amour, souvent il avait, à travers toutes les forêts, épié Hesperié, fille du Cébrène ; il la voit un jour, sur la rive paternelle, séchant au soleil ses cheveux répandus sur ses épaules. (v.771) La nymphe surprise le fuit, comme la biche effrayée fuit le loup fauve, comme la cane qui hante les eaux fuit l'épervier, quand elle a été découverte loin de l'étang qu'elle a quitté. Le héros troyen la poursuit. La peur hâte la course d'Hespérié, l'amour celle d'Aesacos qui va l'atteindre. Mais voici qu'un serpent caché dans l'herbe, de sa dent recourbée mordit au pied la fugitive et y laissa son venin. La fuite de la nymphe prit fin en même temps que sa vie. Aesacos désespéré la serre sans vie dans ses bras et s'écrie : " Ah ! je regrette, je regrette cette poursuite ! Mais je ne redoutais rien de tel et je ne pensais pas acheter si cher la victoire. Ta perte est notre oeuvre à tous deux, malheureuse : la blessure t'a été faite par le serpent, et c'est par moi que l'occasion lui en fut donnée. Je ne suis plus criminel que lui, et la nouvelle que tu recevras de mon trépas te consolera du tien. " Il dit et, du haut d'un rocher, à l'endroit où l'onde mugissante en avait rongé la base, il se jeta à la mer. Sa chute fut adoucie par la pitié de Thétys, qui le reçut et, comme il flottait sur les eaux, le couvrit de plumes ; il souhaitait mourir : la permission lui en fut refusée. Plein d'amour, il s'indigne qu'on l'oblige à vivre malgré lui, que son âme trouve un obstacle à s'échapper, quand elle le veut, du misérable corps qu'elle habite. Et, comme des ailes neuves venaient de pousser à ses épaules, il s'élève en volant puis, de nouveau, se précipite sur les flots. Ses plumes le retiennent dans sa chute. Aesacos, furieux, plonge en pleine eau, la tête en avant et renouvelle sans fin sa tentative pour arriver à mourir. L'amour l'a amaigri ; désormais, entre les jointures, ses jambes restent allongées ; son cou reste allongé ; sa tête est loin de son corps. Il aime l'eau et il tire son nom du goût qu'il a pour s'y plonger.