Il naviguait sur un trois-mâts
De Port-au-Prince à Panama
J'étais à lui comme une bête
Ce n'était pas un de chez nous
Et quand je priais à genoux
Que Dieu le garde des tempêtes
M'attirant vers le creux du lit
Dans ses bras chauds que le roulis
Berçait encore pour me plaire
Il m'embra**ait pleine d'émoi
Et me disait coulant sur moi
Son regard pur comme l'eau claire
"Moi, j' crois pas au bon Dieu
Mais j' crois aux navires
Quand l'océan devient furieux
Tiens bon la barre et tourne et vire
Danse la gigue, hardi mon vieux
Y a pas d' raison pour qu'on chavire
Moi, j' crois pas au bon Dieu
Mais j' crois aux navires"
À chaque escale il débarquait
Et tout de suite sur le quai
Je frissonnais sous son étreinte
Cette nuit-là je l'attendais
Depuis des jours le vent grondait
J'avais le cœur rempli de crainte
Quand, faisant route vers le port
J'ai vu briller les feux du bord
De joie, j'ai cru verser des larmes
Je le voyais déjà sautant
Et me criant d'un air content
En se moquant de mes alarmes
"Moi, j' crois pas au bon Dieu
Mais j' crois aux navires"
Hélas, il n'est pas revenu
Une femme l'a retenu
Dans un village de la côte
On dit qu'elle a le cœur changeant
Et que, le soir, pour de l'argent
N'importe qui devient son hôte
Pour la garder toute pour lui
Il fait la fraude chaque nuit
Sur un rafiot de pacotille
Il paraît même, le damné
Qu'il ne craint pas de l'emmener
Le soir, au large des Antilles
Moi, je crois au bon Dieu
Mais pas aux navires
Quand un navire est par trop vieux
Y a rien d'étonnant qu'il chavire
Moi, je crois au bon Dieu
Mais pas aux navires!