Tu penses à quoi? A la langueur du soir dans les trains du tiers monde, A la maladie louche, aux parfums de secours, A cette femme informe et qui pourtant s'inonde, Aux chagrins de la mer planqués au fond des cours? Tu penses à quoi? A l'avion malheureux qui cherche un champ de blé, A ce monde accroupi les yeux dans les étoiles, A ce mètre inventé pour mesurer les plaies, A ta joie démarrée quand je mets à la voile? Tu penses à quoi? A cette rouge gorge accrochée à ton flanc, Aux pierres de la mer lisses comme des cygnes, Au coquillage heureux et sa perle dedans Qui n'attend que tes yeux pour leur faire des signes? Tu penses à quoi? Aux seins exténués de la chienne maman, Aux hommes muselés qui tirent sur la laisse, Aux biches dans les bois, au lièvre dans le vent, A l'aigle bienheureux, à l'azur qu'il caresse? Tu penses à quoi? A l'imagination qui part demain matin, A la fille égrenant son rosaire à pilules, A ses mains mappemonde où tremble son destin,
A l'horizon barré où ses rêves s'annulent? Tu penses à quoi? A ta voix sur le fil quand je cherche ta voix, A toi qui t'enfuyais quand j'allais te connaître, A tout ce que tu sais de moi et à ce que tu crois, A ce que je connais de toi sans te connaître? Tu penses à quoi? A ce temps relatif qui blanchit mes cheveux, A ces larmes perdues qui s'inventent des rides, A ces arbres datés où traînent des aveux, A ton ventre rempli et à l'horreur du vide? Tu penses à quoi? A la brume baissant son compteur sur ta vie, A la mort qui sommeille au bord de l'autoroute, A tes chagrins d'enfant dans les yeux des petits, A ton coeur mesuré qui bat, coûte que coûte? Tu penses à quoi? A ta tête de mort qui pousse sous ta peau, A tes dents déjà mortes et qui rient dans ta tombe, A cette absurdité de vivre pour la peau, A la peur qui te tient debout lorsque tout tombe? Tu penses à quoi? Dis Tu penses à quoi? A moi? Des fois?... Je t'aime.