Nous avons trop d'amour, bien sûr, mais vos enfances Sont, devant nous, prises comme dans une crue Nous avons appris à nous taire. Ce silence A envahi nos bouches comme l'eau les rues On entend un peu, montant du vieux paysage Comme une conversation ancienne arrêtée Des bribes, des fondations perdues de villages Que des époques sans âme auront submergés Les routes sont barrées, les berges sont perdues Nous avons trop d'amour sous les eaux, mon enfant! Nous ignorons les mots pour dire cette mue Du temps qui nous livre à l'espace menaçant Il y a trop d'amour! Le paysage sombre Et le réel est englouti sous des huées Les haies sont habitées de frayeurs, d'ailes sombres Nous nous y tenons transis de froid sous les nuées Et nous sommes inquiets comme une armée des ombres Préparant pour la nuit des lampes, sans chemin On attendra en vain ce soir l'avion de Londres Le courrier qui pourrait nous réunir les mains Ah trop d'amour, enfants, et nous ne vous offrîmes Que la solitude poignante des levées Les anciens avenirs hésitent, et on devine
Errant sur le miroir des eaux, vos âmes liées Il y a trop d'amour pourrissant dans les granges Trop de photos sans légende dans les greniers Des cadavres d'autos s'enlisent dans les prés Qui produisaient jadis de beaux meuglements d'anges Trop d'amour frémissant sous l'eau, mais plus de routes, Plus de cartes, rien qu'un avenir de frimas Nous nous sommes enorgueillis de notre doute Le sens même des mots, comme un donjon, tomba Et partout, errant comme une troupe immature Vers le tombeau du Christ, croisade des enfants Appels d'oiseaux craintifs dans l'atroce nature Vous cherchez notre amour et nos mots, mon enfant Quand il sera trop tard, des larmes jailliront, Comme des argents des coffres, des bas de laine; Des préhistoires, les mortas (*) remonteront Des mots, comme un fléau, diront droit dans l'haleine Tout ce que nous ne savions pas Que nous savions ------- (*) mortas: arbres pétrifiés enfouis dans les marais de Brière, remontant parfois à la surface