qui est si gracieuse et si belle ;
et, avec sa fille, l'homme de bien,
qui se tue à honorer ses hôtes,
tant il est généreux et de bonne naissance.
Puis il verra les taureaux dans le lieu défriché,
et le grand rustre qui les garde.
Il lui tarde de voir
le rustre, qui est tellement laid,
grand, et hideux, et difforme,
et noir comme un forgeron.
Puis il verra, si cela se peut, le perron
et la fontaine et le ba**in,
et les oiseaux sur le pin ;
ensuite il fera venir la pluie et le vent.
Non seulement il ne cherche pas à s'en vanter,
mais jamais personne ne le saura (c'est là son désir)
avant le moment où il aura
essuyé une grande honte ou obtenu un grand honneur ;
que seulement alors l'affaire soit connue !
Monseigneur Yvain s'enfuit furtivement de la cour,
sans chercher quelque compagnon que ce soit ;
c'est tout seul qu'il s'en va vers son logis.
Il y trouve tous les gens de sa suite
et commande que l'on selle sa monture.
Il convoque un de ses écuyers,
à qui il ne cachait rien.
" Tiens, lui dit-il, suis-moi
là dehors, et porte-moi mes armes.
Je vais sortir par cette porte,
sur mon palefroi, au pas mesuré.
Prends garde de ne pas traîner,
car il me faut voyager très loin.
Quant à mon cheval, fais-le seller,
et amène-le-moi vite ;
tu ramèneras ensuite mon palefroi.
Mais garde-toi bien, je te le commande,
de raconter mon affaire
à qui que ce soit qui t'interroge à mon sujet.
Car même si, à présent, tu me fais confiance,
c'est pour ton malheur que par la suite tu le ferais.
- Sire, dit-il, qu'on en parle plus,
jamais personne ne la saura par moi.
Partez, et je vous suivrai à l'instant. "
Monseigneur Yvain monte sur-le-champ :
il vengera, s'il peut, la honte
de son cousin avant de revenir à la cour.
L'écuyer court chercher les armes
et le cheval, et le monta,
car il ne s'agissait plus de traîner :
maintenant il n'y manquait ni fer ni clou.
Il suit son seigneur à la trace,
jusqu'au moment où il le vit descendu de son cheval ;
en effet, il l'avait un peu attendu
loin du chemin, dans un endroit écarté.
Il avait apporté tout son harnais et son équipement,
et il se chargea de l'équipage.
Monseigneur Yvain, après avoir été armé,
n'attendit ni peu ni prou,
mais il chemina chaque jour,
par des montagnes et par des vallées,
et par des forêts longues et larges,
par des lieux étrangers et sauvages ;
il traversa maint pa**age terrible,
maint danger et mainte épreuve,
jusqu'au moment où il vit le sentier étroit
plein de ronces et de ténèbres.
Alors il fut sûr
que désormais il ne pouvait pas se perdre.
Il chevaucha donc au plus vite,
car rien ne lui importe, sinon son désir de voir
le pin qui ombrage la fontaine,
et le perron, et l'orage
qui déclenche le tonnerre, la pluie, la grêle et le vent.
La nuit il eut, soyez-en certain,
un logis tel qu'il lui convenait,
car il trouva beaucoup plus de bienveillance et d'honneur
dans le vava**eur
qu'on ne le lui avait laissé entendre.
Et de même, chez la jeune fille, il vit
cent fois plus de sagesse et de beauté
que ne l'avait conté Calogrenant,
car on ne peut pas dire toutes les qualités
d'une noble dame, ni d'un prud'homme,
dès que ce dernier se met à répandre ses bontés.
Jamais le sujet ne sera épuisé,
car aucune langue ne pourrait relater
tous les témoignages d'honneur qu'un prud'homme sait prodiguer.
[ Grande miniature : Le vava**eur et sa fille accueillent Yvain, descendu de son cheval, devant la porte de leur château.]