Il marche Comme il peut, il marche sur la ligne de front Il chemine du pas esseulé des soudards sans solde Soldats perdus De ces sans-grade que le raffut des combats a rendu sourds À eux-mêmes Ses 20 automnes déjà meurtris, à l'heure d'aimer, tout lui répugne. Sa naïveté obscène, sa tardive amertume C'est l'arrière goût d'une sale victoire Il le sait trop alors tant pis... Il fredonne Comme il peut, fredonne l'air des insoumis Le chant sinistre des renégats, la complainte des parjures, Des déserteurs du champ d'honneur Il a renoncé à la gloire des sales besognes Rien ne l'écœure plus que l'odeur entêtante de la suie et du sang, Qui le suit où qu'il aille, et qui l'enivrait tant Il trimballe son dégoût de la frénésie du ma**acre Il le sait bien, c'est un peu tard Il s'approche Comme il peut, s'approche De la ligne de démarcation qui sépare conquérants et conquis, Frontière tracée à la règle entre combattants et civils, Entre ce qu'il fut et ce qu'il est Il a bien tenté de le soigner à l'eau de vie Son corps chétif rendu robuste par l'humiliation, le mépris. Dans les vapeurs de l'alcool, il a cherché une mort digne Il n'a pas su y laver sa honte. C'est impossible Il cherche Comme il peut, il cherche Le lieu où tout bascule, où quelque chose s'est éteint, Où la douleur a laissé place à la fureur pour toujours. Maudite colline qu'il reconnaîtrait d'entre toutes : Bisesero
Elle le poursuit dans son sommeil Et dans sa veille, quand il est à compter les heures Attendre l'aube, pour marcher encore et encore En sentinelle de l'absurde. Mais un rien seul Il gueule Comme il peut il gueule, lâche ce cri étouffé Vomit les razzias, les aveux sous la torture. Il pleure la folie a**a**ine, Le prestige tortionnaire des siens qui sont venus dompter l'Afrique Il connaît bien l'issue de sa course. Sa mutinerie arrive à terme Mais d'ici là, les scènes fixées sur sa rétine ne lui laisseront pas de répit Pas de repos. Et c'est tant mieux Il arrive C'est qu'enfin il arrive là où l'histoire s'achève En fusillade ou coup de machette Là d'où vient sa gamberge, gangrène des champs de bataille Où il croisa enfin l'Ennemi : gamins ou vieillards tutsi, derniers rescapés des tueries, Et à leurs trousses, les militaires et miliciens fanatisés Formés et encadrés sous la bannière bleu blanc rouge Jusqu'à la solution finale. Oui, jusqu'au bout Rwanda, Bisesero, fin du périple. Le paysage est magnifique, il ne le voit plus qu'anéanti Théâtre d'ombres, terre de soupirs d'un peuple damné, qui fut traqué jusqu'au dernier Rwanda, Bisesero, fin du périple. Il sait trop bien son sacrifice vain et tardif Mais la déchirure est profonde. Juste en finir. Juste en finir